Des souris et des hommes

Image tiré du film Des souris et des hommes : un homme et une femme sont face à face dans une grange.

(Of Mice and Men)

1992

Réalisation : Gary Sinise
Fiction, États-Unis ; 110 minutes 

Avec : Gary Sinise (George), John Malkovich (Lennie)

Genre : Drame

L'Histoire

Des Souris et des hommes est une adaptation du roman éponyme de John Steinbeck paru en 1937. Il raconte l’histoire de Lennie et George, deux travailleurs agricoles qui voyagent ensemble à travers la Californie. George a fait le serment de prendre soin de Lennie, dont le handicap mental n’est jamais vraiment nommé ou défini. Tous deux rêvent de pouvoir mettre de côté assez d’argent pour s’acheter une petite maison et vivre de leurs propres cultures. Alors qu’ils arrivent dans un nouveau ranch, Lennie tue accidentellement la femme du patron, et est pris en chasse par le ranch tout entier. George finit par le tuer pour lui éviter d’être lynché.

Impact

Des souris et des hommes a été nommé dans la catégorie meilleur long-métrage au festival de Cannes 1992, et a bénéficié d’un accueil favorable à cette occasion. Il a également connu un relatif succès public et critique. Toutefois, l’impact de ce récit et du personnage de Lennie dépasse le seul film de Gary Sinise : le livre, qui a lui-même connu un grand succès, a été adapté plusieurs fois à l’écran et sur les planches. La première adaptation cinématographique, réalisée dès 1939 par Lewis Milestone, avait déjà été nommée aux Oscars en 1940.

éclairages

Le film se déroule dans les années 1930, en pleine crise économique. Il s’intéresse à des travailleurs agricoles précaires, dont plusieurs (et pas seulement Lennie) ont des handicaps visibles. Le handicap est ainsi utilisé comme un symbole de marginalisation et de misère sociale. L’un des personnages secondaires handicapés l’est d’ailleurs des suites d’un accident survenu au travail. Le film met en relief l’exploitation de ces travailleurs par des patrons cruels. Cependant, il s’attarde assez peu sur le contexte historique et les enjeux sociaux. Il est très centré sur ses deux personnages principaux, et sur leur destin individuel.

Des souris et des hommes est entièrement construit comme une tragédie, et c’est le handicap de Lennie qui est présenté comme le ressort de cette tragédie. Lennie incarne ainsi plusieurs idées reçues très tenaces sur le handicap mental, et le handicap en général : il est présenté dès les premières scènes comme un poids pour George, il est inévitablement violent (même sans le vouloir), il est intrinsèquement tragique, et il est voué à mourir.

Plusieurs caractéristiques du film l’apparentent à une tragédie classique : l’action se déroule presque entièrement à huis-clos dans la ferme, ce qui souligne l’enfermement des personnages dans une vie qu’ils n’ont pas choisie. L’obscurité baigne les plans, ce qui renforce cette sensation d’enfermement. Et par-dessus tout, la scène d’ouverture, où l’on voit une femme en robe rouge courir pour échapper à Lennie, puis Lennie et George prendre la fuite (la tension dramatique étant décuplée par le montage rapide et la musique omniprésente), annonce d’emblée la fin du film, qui apparaît dès lors comme une fatalité. La construction narrative, en forme de boucle, met en avant l’impuissance des personnages face au destin. Tout est joué d’avance. Lennie n’a pas d’autre issue que de tuer, et George n’a pas d’autre issue que de tuer Lennie. Ce geste apparaît même, dans les dernières scènes, comme un service à lui rendre, un acte d’amour.

Pour incarner le rôle de Lennie, le choix de John Malkovich n’est pas anodin. Il relève du cripping-up, cette pratique encore trop peu questionnée qui consiste à choisir des acteurs valides pour jouer des personnages handicapés, et qui contribue à alimenter certains clichés (Sur le cripping-up et ses conséquences, voir notamment la tribune d’Elena Chamorro dans Mediapart). Avec sa carrure imposante et son visage rond, l’acteur campe un Lennie conforme à l’image de la grande brute innocente. Il y a quelque chose de très enfantin dans ce personnage (dans sa façon de s’exprimer avec une grammaire approximative, de se tordre les mains, de regarder dans tous les sens en arrivant quelque part comme s’il était perdu). Mais aussi quelque chose de presque bestial (il est silencieux, impulsif et « fort comme un bœuf » selon l’expression employée dans le film). L’infantilisation et l’animalisation sont deux tendances très récurrentes dans la représentation de personnages handicapés, auxquelles le film ne déroge pas.

Vers le milieu du film, l’un des travailleurs du ranch exécute un chien jugé trop vieux et trop souffrant pour vivre, après avoir convaincu Candy, son propriétaire, que c’était la meilleure chose à faire. Un peu plus tard, Candy dira à George qu’il aurait préféré tuer le chien lui-même plutôt que de laisser un étranger lui donner la mort. Ce dialogue annonce le geste final de George. Le parallèle avec le chien, qui revient à plusieurs moments, contribue à déshumaniser Lennie et à rendre acceptable, voire noble, la décision de George, bien qu’elle ne soit pas sans souffrance.

Paradoxalement, c’est aussi la relation entre Lennie, George et Candy qui offre au film ses quelques moments de respiration : des dialogues dans lesquels leur amitié apparaît, furtivement, non plus comme une relation de dépendance mais comme un rempart contre l’isolement et l’oppression.

Parentés thématiques

Lennie appartient à une longue lignée de personnages handicapés tragiques, qui va de Quasimodo dans Notre-Dame de Paris (1831 pour le livre, 1917 pour la première adaptation au cinéma) à Will Traynor dans Me before you (Thea Sharrock, 2016)1. Les représentations des personnages handicapés mentaux ou atteints de troubles psychique comme responsables de violence sont elles aussi très nombreuses, et perdurent aujourd’hui, dans par exemple le Joker (Todd Phillips, 2019). A noter que deux ans après la sortie de sa version de Des souris et des hommes, Gary Sinise incarne à son tour un personnage handicapé et malheureux dans Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994).

Autrice : Rachel Paul

  1. Voir à ce sujet l'article d'Elisa Rojas sur son blog Aux marches du palais

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