Les festivals « cinéma et handicap » fleurissent
Un état des lieux des festivals thématiques francophones actuels — par Diane Maroger.
Le Festival International du Film sur le Handicap a annoncé début janvier sa 1ère édition, prévue du 1er au 15 septembre dans un train reliant Copenhague à Cannes, puis au Palais des Festivals de Cannes du 16 au 21 septembre 2016. Son appel à films, réservé uniquement aux professionnels (aucun film amateur accepté) est ouvert jusqu’au 30 avril 2016 sur le site du festival.
Chaque année à Rennes, le Festival Zanzan, Cinéma et arts des différence, porté par le réalisateur Philippe Thomas, réussit sa reconduction depuis 2010, année où il fut créé avec le soutien de Retour d’image. Il s’associe à différentes salles de la ville et présente différentes formes d’art, dont le cinéma. Sa 5ème édition se déroule du 9 au 13 mars 2016. Son programme auquel nous participons, fait l’objet d’un article distinct dans cette lettre.
Du 11 au 15 novembre 2015, des membres de l’association Retour d’image assistaient à un festival sur le même thème et d’ampleur nationale en Belgique : The Extraordinary Film Festival (TEFF). Celui-ci célébrait sa troisième édition biennale en changeant de nom (précédemment Extra Ordinary People’s festival, EOP !) sous la direction artistique du cinéaste Luc Boland, entouré d’une large équipe bénévole compétente et d’un vigoureux réseau associatif.
Du 19 au 21 novembre 2015 au Petit Théâtre de La Criée, Festi’ Life, le Festival international du Court-Métrage sur le handicap de Marseille menait sa deuxième édition biennale. L’initiative, portée par la Ville de Marseille et la directrice du Théâtre de la Criée Macha Makeïeev, puise ses choix de programmation dans ceux de l’association Suisse Procap pour le festival Look and Roll de Bâle. Nous lui avons consacré un article il y a quelque mois. Le dossier de presse peut être téléchargé ici.
Depuis 2010, Entr’2 Marches, Festival International du Court métrage sur le thème du handicap porté par Dominique Véran, bénévole de la délégation départementale (06) de l’Association des Paralysés de France (APF), réussit lui aussi sa reconduction, en plein Festival International du Film de Cannes, dans une salle de spectacle municipale prêtée par la ville.
Né d’une protestation sur l’inaccessibilité du Festival de Cannes il parvient peu à peu à se faire connaître dans le milieu du handicap en partenariat avec le Festival Sourd Métrage de Nancy, qui met quant à lui en valeur la culture Sourde. La 7ème édition est prévue du 15 au 20 mai 2016.
En 2015, le Festival du court métrage Cinéma et handicap tenait aussi sa 7ème édition à Lyon. Anciennement dénommé Festival Handica (puisqu’il fut créé à l’occasion du Salon éponyme en 2003), il se produit un an sur deux, en alternance avec une sélection de films dédiés à l’emploi des personnes handicapées : le Festival Dans la Boite du film d’entreprise Emploi & Handicap. Ce dernier tenait quant à lui 3ème édition en 2014.
A Nîmes enfin, le Festival Regards croisés, métiers & handicaps, présidé par l’acteur Sam Karmann prépare sa 8ème édition qui se tiendra les 7 et 8 octobre 2016.
Zoom sur…
Au total, il existe donc huit et bientôt neuf festivals de films sur le thème du handicap au sens large. Si l’on y ajoute des festivals plus spécialisés, dédiés à la Culture Sourde tels Clin d’œil à Reims, Sourd métrage à Nancy et les Rencontres Vidéo en Santé Mentale, le nombre des festivals francophones dédiés aux singularités physiques, mentales ou psychiques rivalise avec celui des festivals LGBT (Lesbian, Gay, Bi and Trans), qui émaillent depuis 30 ans le territoire français, la Belgique et la Suisse.
En tant qu’association porteuse du premier festival cinéma et handicap français de longs et de courts métrages de provenance internationale – le Festival Retour d’image (4 éditions de 2003 à 2010) – et du Festival Un Autre Regard (une édition en 2012), il nous semble intéressant d’ouvrir des pistes de réflexion, au regard des programmations et des dispositifs mis en place.
Ne pouvant pas ici nous étendre sur les huit, faisons un zoom sur trois d’entre eux. Les palmarès observés selon les jurys, les critères en présence et nos regards de spectateurs permettent d’amorcer un point de vue sur la thématique « cinéma et handicap ». Ce point de vue pourra être développé plus avant avec vos contributions notamment, si vous avez assisté, participé ou contribué à ces festivals et souhaitez nous adresser votre avis.
TEFF :
Le festival belge mise sur un nombre important de séances (40, toutes sous-titrées et audiodécrites, dans différentes villes) et de films sélectionnés (50 courts et 4 longs retenus, sur 293 films reçus), ainsi que sur une communication très professionnelle, marquée par des partenariats à fort impact : la RTBF s’engage à diffuser le film primé, des centaines de panneaux d’affichage publicitaires à travers le pays précèdent le festival et une campagne de spots très drôles est devenue virale en 2015 sur les réseaux sociaux. TEFF parvient ainsi à se distinguer, en trois éditions, comme l’un des festivals « cinéma et handicap » mondiaux cumulant les plus hauts taux de fréquentation.
L’édition 2015 s’est enrichie de séances scolaires, de conférences, de concerts et d’une masterclass avec le chef opérateur devenu non voyant Gabor Bene, personnage principal d’un des films en sélection. De nombreux acteurs, réalisateurs ou producteur des films sélectionnés en provenance du monde entier sont invités.
Le programme de l’édition 2015 du TEFF est téléchargeable en texte ou en pdf. La sélection en est principalement assurée par Luc Boland, après deux éditions s’appuyant sur un comité qui réunissait personnes valides et en situation de handicap. Le directeur artistique prend le parti d’une certaine exhaustivité, n’hésitant pas à programmer plusieurs films dont les scénarios ou thèmes se ressemblent beaucoup. Il laisse ainsi le spectateur se faire sa propre idée sur le sens de certaines récurrences.
Le Jury est constitué de personnalités du cinéma et de la culture valides ou en situation de handicap, parmi lesquelles en 2015, l’acteur Sam Karmann (président par ailleurs du festival français Regards Croisés) et le romancier et journaliste Bruno de Strabenagh. Ce jury remet aux lauréats des récompenses financières ou de diffusion.
Les prix du public correspondent quant à eux, à des trophées. Le Palmarès de l’édition 2015 est consultable ici.
TEFF produit les audiodescriptions et sous-titres malentendants de nombreux films inédits, qu’il propose à la location en fichier numérique. Ceux-ci constituent, depuis 2012, un catalogue riche de plus de 125 titres , du court au long métrage en passant par le spot de pub ou le clip.
Festival International du court métrage Entr’2 Marches :
Ce petit festival de courts-métrages (moins de 26 minutes) mêle fictions, reportages, documentaires, films de communication, films d’ateliers et gestes audiovisuels amateurs sélectionnés sur des coups de cœur, puis mis en compétition. Il est parvenu à ajouter année après année des mesures d’accessibilité à son programme. Les sous-titres sont fournis par les candidats à la sélection, une audiodescription d’appoint est proposée lorsque la copie du film n’est pas déjà audiodécrite, et les débats sont accessibles aux sourds avec interprétariat en Langue des Signes Française (LSF) et boucle magnétique… En exigeant autant que possible que les films lui parviennent déjà adaptés c’est un festival conscient que ces mesures sont importantes.
Lors d’une projection le 19 septembre dernier au Cinéma des Cinéastes à Paris, des films primés lors de l’édition 2015 d’Entr’2 Marches à Cannes, on a pu constater que ce festival se caractérise par le choix d’aller à l’émotion, de toucher et de sensibiliser sans intellectualiser ni mettre en avant des critères artistiques particuliers. Le programme a fait l’objet d’un article dans nos pages.
En 2016, Le festival Entr’2 marches aura pour présidente du jury la réalisatrice anglaise Jane Gull et pour marraine Chantal Lauby.
Festival International du film sur le handicap :
Le projet de ce nouveau festival impulsé par le Préfet de l’Héraut Jean-Christophe Parisot, présidé par l’acteur Jean-Yves Thual et dirigé par Katia Maresco — auparavant chargée de la sélection sur le handicap « Travelling 34 », au sein du Très Courts International Film Festival — est ambitieux de par son étendue géographique et sa durée.
Il commence dans un train reliant plusieurs villes européennes de Copenhague à Cannes, doté d’une voiture dédiée au festival et d’un écran gonflable, sur lequel seront projetés des films à quai, dans différentes gares du parcours. L’écrivain Erik Orsenna, chargé de lever les fonds du festival, et Louise Depardieu, 15 ans, fille du regrété Guillaume Depadieu, le parrainent. Le dossier de presse nous informe de « sept sélections en compétition » ouvertes uniquement aux professionnels, intitulées « 6 minutes pour convaincre » dont il est dit qu’ils peuvent être «documentaires, films sur l’écologie, clips musicaux et publicitaires, fantastiques, animation, jeunesse ». Une thématique sur le 3ème âge mystérieusement intitulée «3e Ange» complète le tableau sur la page de l’appel à film.
Un jury de professionnels présidé par les Monty Pyton remettra 7 trophées dessinées par Agnès B. aux réalisateurs primés.
Des cartes blanches seront offertes à différents festivals, en premier lieu l’autre cannois, Entr’2 Marches. La liste de ces partenaires festivaliers reste à compléter mais on peut noter d’après le dossier de presse qu’ils ne sont pas tous axés sur la thématique du handicap.
Hors compétition enfin, 21 longs métrages grand public des années 70 à 2013 (de Elephant man à Intouchables, en passant par My left foot, Vol au dessus d’un nid de coucou ou Gilbert Grape, de Lasse Hallstrome), pourront être visionnés dans la voiture du train du festival. Il est à noter qu’aucune mesure d’accessibilité n’est à ce jour garantie pour ce festival, dont le comité de soutien s’occupe de constituer le budget.
Point de vue
Les festivals de cinéma qui prennent pour thématique le handicap sont souvent des lieux de rencontre intéressants à forte teneur humaine.
Au moment de la programmation, ils se trouvent confrontés à un écueil : l’obligation de faire passer un message évident d’acceptation et de tolérance présent dans la plupart des films candidats à la programmation. Le programmateur a le choix de céder, ou non, à ce qui peut devenir – si ses motivations sont politiques et philanthropiques plus qu’artistiques – une injonction de bonne conscience.
En 2002, familière de quatre festivals cinéma et handicap existants déjà au Royaume Uni, en Californie, en Allemagne et en Russie, il m’a semblé en créant le premier festival Retour d’image — sous-titré Cinéma et handicap, une rétrospective critique — que si notre motivation était l’amour du cinéma, de sa transmission et de ses possibles insoupçonnés, alors l’aventure d’une programmation sur le personnage stigmatisé par une différence dans l’histoire du cinéma, vaudrait toutes les peines que nous rencontrions pour prouver l’intérêt de la chose.
Les partenaires français étaient alors plutôt frileux et inquiets de ne pas voir se remplir les salles, avec une thématique pareille. Beaucoup d’associations de personnes handicapées ne voyaient pas encore pourquoi on rassemblerait un public sur le thème du personnage différent. Pourtant, avec sa part de mystère, de non-dit, de peurs, d’amour mystique ou charnel, le personnage porteur d’un handicap visible ou caché fournit un matériau artistique passionnant au cinéaste. Parce qu’un film, pour être bon, doit être composé de mystère, de non dits, de peur, d’amour mystique ou charnel, les enjeux se rejoignent. Après, tout est une question de dosage.
Retour d’image propose aujourd’hui sur demande son catalogue de films du répertoire et d’inédits choisis en concertation par un comité de programmation. Les comités se sont renouvelés pour chacunes de nos éditions festivalières. Ils sont composés de participants professionnels du film, de critiques et de non professionnels, touchés ou non par le handicap. Ces films programmés lors de nos festivals ont été adaptés pour la plupart avant l’avènement du numérique. Les textes des audiodescriptions de ceux-cis sont entre les mains de leurs auteurs, toujours motivés pour les interpréter à nouveaux ou les enregistrer. Les sous-titres de l’époque sont archivés dans les laboratoires qui les ont réalisés. Les films plus récents sont en Bétadigital ou DCP contenant l’audiodescription et le sous-titrage produits par Retour d’image ou le producteur.
Nos choix éditoriaux ne rejoignent pas exactement ceux des festivals cités plus haut. Après une incursion dans l’histoire des représentations sur 100 ans de cinéma, nous avons exploré le lien entre le filmeur et le filmé dans le cadre du documentaire. En 2007 nous nous attachions au film de science-fiction et à sa représentation du corps transformé, mutant, implanté ou cyborg. Une attention particulière était portée aux mangas et films expérimentaux japonais, ainsi qu’aux films de David Cronenberg. En 2010 nous développions une approche du handicap dans les cinématographies d’Afrique. En 2012, avec le festival Un Autre Regard d’ampleur nationale, nous reprenions une approche plus généraliste, après avoir abordé dans des programmations parallèles, l’humour (Mois Extra Ordinaire 2009), le geste créatif et la singularité de cinéastes et techniciens du film touchés par la différence (MEO 2011)…
Au sein du comité de programmation, lorsqu’un « scénario-type » conçu pour sensibiliser au handicap apparaît plusieurs fois parmi les films candidats à la sélection, nous n’en choisirons qu’un, se distinguant par son originalité ou sa forme. De plus, lorsqu’un film n’a pas une forme cinématographique mais un enjeu pédagogique, de communication ou de reportage, il pourra être cité par extraits lors de tables rondes que nous organisons sur certaines thématiques. Il fera rarement l’objet d’une programmation en salle par Retour d’image.
Aujourd’hui dédiée à l’action éducative et à la programmation ponctuelle, Retour d’image offre aux festivals thématiques plusieurs possibilités :
- un conseil à la programmation permettant de contextualiser ses choix au regard de l’historique des représentations du handicap,
- un conseil ou une sous-traitance de l’accessibilité des séances, en s’appuyant sur un réseau de techniciens, auteurs et prestataires compétents,
- la conception et l’animation de tables rondes sur des thèmes choisis ensemble, des cartes blanches.
Hors festivals, nos adhérents intéressés par la programmation peuvent participer à un groupe de visionnage se réunissant tous les mois. Le groupe actuellement constitué collaborera en 2016 à des séances spéciales dans les cinémas adhérents de notre centre de ressources, sur des thématiques ou évènements proposées par ces cinémas, ou par Retour d’image, dans un cadre partenariat.
Sélectionner et programmer des films permet l’échange et la réflexion. C’est aussi une démarche que l’on peut faire en atelier, avec des publics empêchés. Avec la manne de films en provenance de tant et tant de festivals, les idées et nouveautés ne manquent pas.