Yo, También

Photo extraite de Yo, También

2009

Réalisation : Álvaro Pastor et Antonio Naharro
Fiction ; Espagne ; 103 min.

Personnages : Daniel (Pablo Pineda), Laura (Lola Dueñas), Antonio Naharro (Santi)

Genre : Comédie dramatique, romance

L'histoire

Fraîchement diplômé, Daniel, un homme de 34 ans atteint de trisomie 21, commence à travailler dans un centre social à Séville. Il se lie avec une de ses collègues de travail, Laura, et va bientôt tomber amoureux d’elle.

Impact

Yo, también marque la première apparition à l’écran de Pablo Pineda, acteur atteint du syndrome de Down, qui fut quelques années avant le tournage le premier étudiant trisomique en Europe à obtenir un diplôme universitaire (un Bachelor of Arts en psychopédagogie).

Ce film, le premier long-métrage de ses réalisateurs, a connu un certain succès en Espagne, avec notamment les prix d’interprétation féminine et masculine au Festival de San Sebastian 2009 pour Lola Dueñas et Pablo Pineda, et le Goya de la meilleure actrice pour Lola Dueñas en 2010. À l’international, Yo, también a reçu le prix du public au Festival de Rotterdam, et a fait partie de la sélection officielle du Festival de Sundance.

Yo, también se distingue par le choix de représenter la vie d’un jeune homme trisomique plutôt bien intégré socialement et de s’intéresser à sa vie sentimentale et sexuelle – un sujet rarement abordé au cinéma, qui se focalise plus souvent sur des personnes trisomiques en grande difficulté sociale ou en détresse, comme dans Le huitième jour (Jaco Van Dormael, 1996) ou le drame étasunien My Brother (Anthony Lover, 2006).

Éclairage

Dans la toute première scène du film, Daniel s’exprime dans un colloque universitaire où il compare la société à un corps humain : une société qui mettrait de côté ses minorités (dont les personnes handicapées) serait comme mutilée. Un discours relativement consensuel, mettant en avant un certain « vivre ensemble », qui donne tout de suite sa tonalité au film : éloge de la tolérance, de la bienveillance. Si le propos du film n’est pas extrêmement engagé, en se centrant sur la question de l’amour et de la sexualité, il propose aux spectateurs valides de décaler leur regard sur les personnes handicapées.

Le protagoniste est atteint d’un syndrome de Down, mais il apparaît très intégré socialement et professionnellement (ce qui n’est pas le cas de tous les personnages trisomiques, loin de là). Cependant, il ne l’est pas assez pour prétendre à une vie « normale », une vie dont la sexualité et les relations sentimentales feraient partie. En effet, Daniel est d’emblée présenté comme très intéressé par le sexe. Mais il n’est pas perçu comme un partenaire potentiel par les femmes qui l’entourent et qu’il désire. Même Laura, qui devient son amie proche, n’envisage pas leur relation comme cela avant qu’il lui avoue son attirance.

Le film va approfondir la relation entre Daniel et Laura. S’il est tout de suite attiré par elle physiquement, Daniel remarque aussi Laura pour sa personnalité excentrique et libre, qui fait que, comme lui, elle ne trouve pas tout à fait sa place en contexte professionnel. Cette singularité les rapproche progressivement, malgré leurs différences : elle a coupé les ponts avec sa famille, il est très proche de la sienne ; elle aime sortir et danser, il est plus « sage » ; elle est très libérée sexuellement, il n’a pas d’expérience dans le domaine.

Dans une intrigue secondaire, le frère de Daniel et sa femme donnent des cours de danse à des jeunes eux aussi atteints de trisomie 21. Les scènes se déroulant dans le centre de danse possèdent une dimension presque documentaire. Ces séquences qui émaillent le film nous donnent à voir des corps que l’on a rarement l’occasion de voir bouger ainsi.

Parmi les danseurs du groupe, deux jeunes trisomiques tombent amoureux. Ce lien, qui apparaîtrait tout naturel pour des adolescents « valides », inquiète tout de suite les adultes autour d’eux. Leur vie romantique est empêchée par le jugement de gens qui estiment qu’ils ne disposent pas de leur libre arbitre. Cependant, le couple résiste à l’infantilisation : « Je ne suis pas un enfant, je suis une femme », affirme la jeune amoureuse. Une phrase que pourrait dire toute jeune personne à ses parents trop pesants, mais dont la force est amplifiée par son handicap, qui la rend éternellement « mineure » aux yeux de la société.

Les échos entre ce jeune couple et la vie de Daniel sont multiples. Le paternalisme est quelque chose que doivent affronter les personnes handicapées tout au long de leur vie : alors qu’il a trente ans passés, Daniel affirme lui aussi à la porte d’un bordel dont on lui refuse l’entrée car interdit aux mineurs : « Je ne suis pas un enfant, je suis un homme ». Ce regard condescendant peut aussi être celui des proches : Daniel a des parents aimants mais trop protecteurs. Le parcours de Daniel va donc être celui d’une émancipation progressive.

La relation entre Daniel et Laura culmine en fin de film avec l’acte sexuel finalement consommé… mais qui ne nous est quasiment pas montré – une ellipse que l’on peut comprendre (il s’agit de garder le film accessible à tous les publics), et qui laisse la sensation d’une trop grande pudeur. Le tabou de la sexualité des personnes handicapées n’est pas encore levé.

Parentés thématiques

On peut penser au célèbre film franco-belge Le huitième jour, qui se penche sur un personnage trisomique. Il est ici question du lien qui se crée entre deux hommes sur le modèle du buddy movie (en français « film de copains » : récits articulés autour d’un duo de héros composé de deux personnalités opposées). Le huitième jour montre l’évolution du regard d’un homme valide sur un homme handicapé. Le point de vue est clairement du côté des valides, alors que les choses sont moins tranchées dans Yo, también.

À propos de sexualité et handicap, un lien peut être fait avec le film belge Hasta la vista (2011), où trois jeunes hommes handicapés se rendent justement en Espagne, dans un bordel, pour enfin connaître leur première expérience sexuelle. La tonalité de comédie potache donne un traitement plus léger, mais aussi d’une certaine manière plus cru, du sujet.

Enfin, sur la thématique de la danse, le film Les enfants d’Isadora (2019) de Damien Manivel propose des séquences là aussi très proches du documentaire, dans lesquelles on voit une danseuse professionnelle atteinte du syndrome de Down, en répétition avec une chorégraphe.

Autrice : Anna Marmiesse

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