Titicut Follies

1967
Réalisation : Frederick Wiseman
Documentaire, Etats-Unis, 84 min
L'histoire
Dans Titicut Follies, Frederick Wiseman filme la vie quotidienne des détenus d’une prison d’État psychiatrique du Massachussetts, la prison de Bridgewater. Titicut Follies souligne le dénuement des lieux, les maltraitances subies par les détenus et la cruauté du face-à-face entre patients et psychiatres.
Impact
À sa sortie en 1967, le film est d’emblée salué par la critique et par les festivals, lançant ainsi la carrière de son réalisateur. Mais il fait rapidement l’objet d’un procès, et se trouve interdit aux États-Unis pendant plus de vingt ans. Selon la formule de Frederick Wiseman dans un entretien avec Fabien Baumann1, il « gênait les politiciens » qui avaient eux-mêmes autorisé le tournage. Jusqu’à la levée de l’interdiction en 1991, le film a néanmoins pu être montré dans des cercles fermés, notamment aux professionnels de santé. Interrogé sur les possibles retombées politiques de son documentaire, Frederick Wiseman déclare : « J’aime à penser que le film a contribué à la fermeture de Bridgewater, mais en réalité je n’en ai aucune idée »2.
Mise en scène
Titicut Follies est le premier documentaire de Frederick Wiseman, alors professeur de droit à l’université. Il y jette les bases d’une approche qui va rester la sienne pour ses films suivants : un cinéma d’immersion à l’intérieur des institutions, sans commentaire ni interviews, dans la lignée du « cinéma-vérité » qui se développe à l’époque. Dans la même logique, il n’y a pas d’autre musique que celle présente dans les scènes captées (par exemple chantée par les personnages). Elle contribue à apporter de la poésie à un film par ailleurs assez dur. Frederick Wiseman qualifiera d’ailleurs le film de « comédie musicale ». Le documentariste, qui prend lui-même le son sur les tournages, place la parole et les scènes chantées au centre de sa démarche. La caméra s’approche des visages, les longues séquences laissent aux voix le temps de se faire entendre : Titicut Follies est une invitation à regarder en face ce qui est d’ordinaire caché.
Film sans tabou, par les effets de montage, on voit côte-côte la joie et la violence, la vie et la mort. Une séquence à la morgue précède notamment une scène de fête d’anniversaire, par exemple.
Éclairage
Titicut Follies présente Bridgewater comme une « institution totale », selon le terme employé à la même époque par le sociologue Erving Goffman3. De ce point de vue, on peut considérer que le film participe de la critique du système asilaire qui émerge dans ces années-là. Néanmoins, s’il pose un regard sans concession sur l’institution, s’il donne un espace d’expression aux détenus, s’il marque incontestablement l’histoire du cinéma documentaire, Titicut Follies n’est pas complètement dénué d’ambiguïté quant à l’image qu’il donne des personnes malades. Certes la caméra nous rapproche d’elles, mais la présence des soignants et la dimension délibérément absurde de certaines scènes les maintient en quelque sorte à distance. On a parfois l’impression que la brutalité du lieu déteint sur le film et sur notre manière de percevoir les détenus.
Parentés thématiques
Après Titicut Follies, Frederick Wiseman a continué à documenter le fonctionnement des institutions, et notamment de l’hôpital ou des écoles spécialisées (comme dans Hospital en 1969, Deaf et Blind en 1986. Titicut Follies inaugure également une longue tradition de films documentaires sur les institutions psychiatriques, comme La moindre des choses de Nicolas Philibert (1996) ou les films de Raymond Depardon Urgences (1988), 12 jours (2017) etc.
Autrice : Rachel Paul