Sound of metal

Photo extraite du film : autour d'une table grise, Ruben et une professeure sont assis parmi des enfants vêtus de bleu. Tous ont les mains posées sur la table. Certains ferment les yeux.

2019

Réalisation : Darius Marder
Fiction ; États-Unis ; 120 min.

Avec : Riz Ahmed (Ruben), Olivia Cooke (Lou),
Paul Raci (Joe), Lauren Ridloff (Diane)

Genre : Drame

Prémisse

Lors d’un concert, Ruben – batteur au sein du duo qu’il a fondé avec sa compagne Lou – n’entend plus qu’un faible bourdonnement.
Durant sa consultation avec un médecin, il apprend qu’il sera bientôt totalement sourd. Ancien toxicomane, il comprend que pour éviter que cette nouvelle ne le fasse à nouveau sombrer dans l’addiction, il lui faut écouter sa compagne et accepter de l’aide.


Ruben intègre alors un centre de désintoxication pour toxicomanes sourds dirigé par Joe. Tout en apprenant la langue des signes et en se familiarisant avec la culture sourde, Ruben cherche l’argent nécessaire à une opération qui lui rendrait l’audition grâce à la pose d’un implant cochléaire. Mais peut-on rétablir l’audition comme on allume une lumière grâce à un interrupteur ?

Impact

L’Oscar du meilleur son remporté par Nicolas Becker en 2021, celui du meilleur montage et les nombreuses autres nominations du film ont permis de mettre en lumière la surdité, la culture sourde, mais également le débat sur l’implant cochléaire qui anime tant la communauté sourde. Habituellement perçu comme quelque chose de positif qui guérit la surdité 1, l’implant cochléaire est, dans Sound Of Metal, loin d’être vu comme un outil miraculeux qui rend l’audition ou résout les problèmes rencontrés par les personnes sourdes.

Il faut également souligner le choix original de Darius Marder de raconter une histoire dont le personnage principal et la majorité des personnages sont sourds et signants. Cependant, malgré la présence de plusieurs acteurs et actrices sourd·e·s tel·le·s que Lauren Ridloff, Shaheem Sanchez, Hillary Baack, Chelsea Lee, Jeremy Lee Stone, il a été reproché à Darius Marder de ne pas avoir pris d’acteurs sourds pour les rôles importants (pour le rôle de Joe notamment). 2

Éclairages

Darius Marder ne minimise pas l’expérience de la surdité mais s’efforce plutôt de voir dans quelle mesure elle s’inscrit dans le parcours de vie d’une personne. Ce film met ainsi en avant la transformation de Ruben à travers l’expérience de la surdité.

Pour impliquer le spectateur dans cette expérience, le réalisateur fait appel au sound designer Nicolas Becker. Ce dernier utilise le son pour rendre sensible la manière dont la surdité puis l’implant cochléaire bousculent l’organisation cognitive. Alors que l’oreille des personnes ayant une ouïe classique distingue naturellement les sons de fréquences proches, ainsi que leur source pour en extraire les informations pertinentes, cette capacité est altérée chez les individus sourds et / ou implantés, affectant ainsi leur perception de la musique, de la parole, mais également de l’espace autour d’eux. Le concepteur sonore explore ce processus complexe en expérimentant différents outils pour enregistrer les sons ou les manipuler.

Le réalisateur utilise ces expérimentations sonores afin que le public se connecte ou se distancie de l’expérience de Ruben. Par exemple, dans une séquence où Ruben se rend dans une pharmacie après avoir soudainement perdu son audition, la caméra nous place à proximité du personnage. Le son que nous entendons est étouffé, rendant les paroles inintelligibles. Par la suite, un plan plus large change notre perspective, nous déplaçant vers l’un des rayons de la pharmacie.

Nous devenons ainsi un client du magasin, assistant à la scène que nous pouvons désormais entendre clairement et comprendre.
Le réalisateur joue donc avec des effets de cloisonnements auditifs 3 et choisit tout au long du film, d’alterner des moments d’intense proximité durant lesquels nous partageons l’incompréhension de Ruben, et des moments dans lesquels nous devenons observateurs et avons accès aux informations nécessaires à la compréhension du film.

Ce jeu de distanciation est également visible à traversl’utilisation du sous-titrage. Lors du premier repas partagé par Ruben avec les résident·e·s du centre, l’incapacité de Ruben à saisir les conversations en langue des signes est palpable. Le réalisateur propose une série de plans non sous-titrés qui montrent les visages des résident·e·s flous ou coupés par le cadre et Ruben de dos ou de profil, dans l’ombre. Cette exclusion délibérée de l’information crée une impression d’isolement et de mise à l’écart pour le spectateur. Plus tard, une autre scène de repas avec les mêmes résidents se déroule. Ayant désormais maîtrisé la langue des signes, Ruben n’est plus isolé et participe activement aux discussions. Le spectateur a enfin accès aux échanges et peut partager le plaisir de Ruben grâce aux sous-titres et à un cadrage élargi.

Parentés thématiques

Hear and Now (documentaire, 2007, Irene Taylor Brodsky) aborde également l’ambivalence de l’implant cochléaire à travers l’expérience des deux parents de la réalisatrice qui se font implanter et vivent cette expérience chacun de manière différente.

It’s all gone Pete Tong de Michael Dowse (2005) met en scène un DJ qui perd l’audition et doit réapprendre à vivre avec cette surdité. 

Autrice : Barbara Fougère

  1. Il n’est pas rare de lire des articles ou de voir des reportages dans lesquels il est mentionné que l’implant cochléaire guérit la surdité : Corentin Bell, « 4 thérapies innovantes pour guérir la surdité », in Science et Avenir, 20/01/2023.
    Journal télévisé de TF1, « Surdité : des scientifiques français sont parvenus à la soigner chez des souris, une première mondiale », 19/02/2019.
  2. «“Sound of Metal” roles stolen from deaf actors?», in The Daily Moth, 21/03/2021 (https://www.dailymoth.com/blog/sound-of-metal-roles-stolen-from-deaf-actors) Jade Bryan, qui est à l’origine du mouvement #DeafTalent a également critiqué ce choix.
  3. Michel Chion parle de cloisonnement auditif quand nous n'entendons pas ce que des personnages entendent, ou quand symétriquement, ils n'entend pas tout ce que nous entendons. Voir Michel Chion. Un art sonore, le cinéma, histoire, esthétique et poétique, Paris, Les Cahiers du Cinéma " les classiques ", 2003, p. 275-276, p. 281-282. 

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