« Nos images par nous-mêmes » : Ce que nous disait Rémi Gendarme-Cerquetti

Pour une fois, nos images par nous-mêmes. Nos souvenirs par nos voix.

Tels sont les mots qui introduisent Fils de Garches, le dernier film de Rémi Gendarme-Cerquetti, réalisé en 2020. Des mots qui entrent en parfaite résonnance avec les réflexions menées par Retour d’image depuis une vingtaine d’années.

En février dernier, nous apprenions la triste disparition du réalisateur. En quelques œuvres, il a tracé une voix unique qui allie l’urgence du propos à un rythme d’exploration, la valeur des fragilités à la force mobilisatrice des souvenirs communs. Il donne à repenser le corps et la place des personnes handicapées dans la société, dans une approche aussi bien militante que sensible.

Son regard pourrait s’inscrire dans la droite lignée du réalisateur anglais Stephen Dwoskin, ou encore d’artistes handicapés qui au début des années 2000 travaillaient pour déplacer le regard vers la façon dont la société exclut le corps handicapé. Se réapproprier leur image, pour filmer le monde de leur point de vue, c’est-à-dire depuis le corps différent. Rémi Gendarme-Cerquetti semblait prolonger cette vision, à travers une œuvre d’autant plus précieuse qu’il y a encore aujourd’hui très peu de cinéastes en situation de handicap.

Photo extraite de « Fils de Garches »

Né en 1983, Rémi Gendarme-Cerquetti suit des études de mathématiques. Ne supportant plus les conditions d’accueil des étudiants handicapés à l’université, et après avoir observé qu’il passait plus de temps au cinéma que dans les amphithéâtres, il s’engage dans une seconde licence, en arts du spectacle option cinéma. D’abord ébloui par les films de Michael Moore et plus tard de Pierre Carles, il tire un trait sur ces deux influences dès lors qu’il découvre l’université de cinéma et le documentaire. « Plus question de chercher la vengeance ou la preuve ».
Il obtient un Master de réalisation de documentaires de création à Créadoc (Angoulême). Lors de cette formation, il explore « l’énorme plaisir » qu’il a à filmer lui-même grâce à une caméra fixée sur son fauteuil ; « une caméra comme un doigt qui désigne ».
Entre 2005 et 2016, il réalise des courts métrages, une fiction radiophonique, des textes, et un premier long métrage. Ses films Riolette autopsie (2012), tentative autobiographique, et Une affaire de décor (2012), film d’études pour faire ce qu’il n’est pas prévu qu’il fasse, ont tous deux été sélectionnés et récompensés dans des festivals. Son deuxième documentaire de long métrage, Fils de Garches, part de ses souvenirs d’enfance à l’hôpital de Garches, pour délivrer une proposition poétique sur le corps handicapé. D’une expérience subjective, il fait naître une « communauté de souvenirs ».

C’est autour de ce film que nous avions rencontré Rémi Gendarme-Cerquetti, pour la préparation et l’animation d’une rencontre, en janvier 2022. La séance se tenait au Cinéma du Théâtre de La Celle-Saint-Cloud. Un moment fort pour les personnes qui étaient présentes ce jour-là. L’une d’entre elles exprimaient son enthousiasme en ces mots : « C’est un film qui va vivre dans ceux qui le verront. C’est un film vraiment important ». Durant la rencontre, le réalisateur nous parlait de sa vision du documentaire : « Pour moi, le sujet est quelque chose de secondaire. Il s’agit d’abord de poser un acte de création, un regard ». Il souligne aussi « la gigantesque mésestime de soi que portent en elles les personnes handicapées. Même celles qui ont fait plein de choses dans leur existence ».

Dans son film, l’hôpital de Garches est le creuset des différentes problématiques que le réalisateur voulait aborder, un terrain qu’il réinvestit avec ses représentations. Il ajoute à ce regard une attention particulière au son et à la musique, pour offrir une voix à chaque protagoniste. La beauté de ce travail a été récompensée par le Prix Belà Bertok au festival du Film Ethnographique Jean Rouch.

Avec ce film essentiel, Rémi Gendarme-Cerquetti permet à la fragilité et à d’autres sensorialités d’exister dans ce monde.

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