Les lumières de la ville

(CITY LIGHTS)
1931
Réalisation : Charlie Chaplin
Fiction, Etats-Unis, Muet ; 87 minutes
Avec : Charlie Chaplin, Virginia Cherill
Genre : Burlesque, Comédie dramatique
L'Histoire
Un vagabond rencontre une marchande de fleurs aveugle, et tombe immédiatement amoureux de la jeune fille. Devenu par hasard ami avec un millionnaire, il la séduit en se faisant passer pour riche. Apprenant qu’elle va être expulsée de son logement parce qu’elle doit de l’argent, il emprunte au millionnaire pour l’aider à payer son loyer, et à financer une opération qui doit lui permettre de recouvrer la vue. Accusé de vol par le millionnaire, il est emprisonné. Lorsqu’il sort de prison, il retrouve par hasard la jeune fille, qui n’est plus aveugle. Elle le reconnaît en touchant sa main, et comprend qu’il n’est pas l’homme riche qu’elle croyait.
Impact
Charlie Chaplin tourne Les lumières de la ville à partir de 1928. Alors que le cinéma parlant est en plein essor, il persévère dans le cinéma muet, et rencontre des résistances à ce sujet. Mais cela ne nuit en rien au succès du film. À sa sortie en 1931, Les lumières de la ville triomphe à Hollywood, puis à New-York, Londres et Paris. Il est aujourd’hui l’un des films les plus célèbres de son auteur.
éclairages
Comme de nombreux autres films de Charlie Chaplin, Les Lumières de la ville explore les inégalités sociales (en témoigne le jeu de contrastes entre ses deux personnages, le Vagabond et le Millionnaire). Dans ce contexte, la marchande de fleurs aveugle est très clairement située sur l’échelle sociale : c’est une jeune femme pauvre, qui vit seule avec sa grand-mère et doit vendre ses fleurs dans la rue pour survivre. Si les autres personnages sont désignés dans le générique par leur rang social, elle l’est d’ailleurs uniquement par son handicap (“une jeune aveugle”, dit le carton au début du film). Elle ne doit son salut qu’à la charité, celle des passants dans la rue puis celle du Vagabond lui-même. Le Vagabond, qui fait sans cesse l’expérience de l’exclusion (on le chasse d’une cérémonie officielle dans la première séquence du film, puis à plusieurs reprises de chez le Millionnaire), devient un sauveur lorsqu’il rencontre la jeune femme aveugle. Comme si elle était la seule à pouvoir lui être inférieure socialement. Le dénouement du film va dans le même sens : l’ascension sociale de la jeune femme, désormais propriétaire d’une boutique, apparaît comme indissociable de l’opération par laquelle elle a retrouvé la vue. Le film associe donc le handicap de son personnage à la charité, à la vulnérabilité et à la solitude, puis la disparition de ce handicap à la sortie de la misère, selon un stéréotype qui perdure aujourd’hui.
La cécité est également utilisée comme un ressort comique et dramatique du film, à travers la série de quiproquos qui en découle. C’est parce que la jeune femme est aveugle que le Vagabond peut la duper et lui faire croire qu’il est riche. Cela donne lieu à des scènes burlesques (au début du film, alors qu’elle croit le Vagabond parti, elle lui verse son seau d’eau sur la figure), mais aussi à des scènes plus mélancoliques (comme lorsqu’il comprend que sa guérison signifierait la découverte de son mensonge). Avec tout un jeu sur les vitrines, les miroirs et les fenêtres, le film se structure autour d’une réflexion sur le visible et l’invisible, le reflet et le double. Au-delà de la caractérisation sociale du personnage de la jeune fille, la cécité devient alors un outil de mise en scène dont la symbolique n’est pas neutre : la vue y est associée à la lumière et à la vérité. Alors que le cinéma muet est en déclin, Chaplin se sert également de la cécité de son personnage comme d’un prétexte pour une exploration poussée sur la place du son : c’est par exemple le bruit d’une portière de voiture qui induit la jeune fille en erreur au début du film, lui faisant croire que le Vagabond conduit un véhicule de luxe.
Paradoxalement, le dénouement du film, s’il confirme un certain nombre de clichés, souligne aussi, par les gros plans sur leurs visages, la profondeur des émotions des deux personnages. Il remet ainsi au centre le sentiment amoureux, au-delà de leur trajectoire sociale ou de la tromperie qui s’est jouée entre eux.
Parentés thématiques
Les personnages aveugles sont nombreux au cinéma. Comme c’est le cas pour les personnages handicapés en général, ils sont, jusqu’à aujourd’hui, très souvent présentés comme vulnérables, et plaçant leur espoir dans la possibilité d’une guérison (voir notamment Dancer in the dark de Lars von Trier, 2000). La cécité comme outil de mise en scène est aussi un motif récurrent, qu’on retrouve par exemple dans Seule dans la nuit de Terence Young (1967), où la cécité du personnage incarné par Audrey Hepburn est utilisée comme un ressort du suspense.
Autrice : Rachel Paul