Entretien avec le réalisateur de Quercus

« L’audiodescription fait maintenant partie du film »

(propos recueillis le 19 juin 2020)

Julien Munschy, le réalisateur de Quercus, a souhaité que son film soit accessible à tous, et a été à l’initiative de la démarche pour que soient réalisées les versions audiodécrite et sous-titrée sourds et malentendants. Il nous explique les raisons de son choix, ce qu’il perçoit des enjeux de l’audiodescription, et pourquoi il souhaite désormais imposer cette dimension pour ses projets futurs.

Actuellement, en France, très peu de courts-métrages sont audiodécrits. Quelles sont selon toi les raisons qui peuvent expliquer ce constat ?

Julien Munschy : Cela ne fait que deux ans que je sais que l’audiodescription existe. C’est en travaillant sur le montage d’un long-métrage qui avait été audiodécrit (16 levers de soleil de Pierre-Emmanuel Le Goff ) que j’en ai pris connaissance. Avant cela, ni dans mon BTS, ni dans les cours de cinéma à l’Université, je n’ai entendu parler de l’audiodescription. Ensuite, ce qui est particulier pour le court-métrage, c’est que ce sont des budgets relativement faibles. Plus on arrive en postproduction, moins il y a d’argent. Je le constate déjà au niveau du montage où le budget est quand même très restreint. Pour pallier cela, je me dis que ce serait au producteur ou au réalisateur, lorsqu’il débute le projet, de tout de suite mettre sur la table la question de l’accessibilité du film et de la poser comme un enjeu. Tout comme on fait une case montage dans un budget, il faudrait également prévoir l’audiodescription et les sous-titrage sourds et malentendants.

Qu’est-ce qui a motivé ta volonté de rendre ton film accessible ?

Ce sont les discussions que j’ai eu avec Barbara Fougère, adhérente à Retour d’image, qui fait également une thèse sur la surdité au cinéma. Je me suis rendu compte de l’intérêt, au départ du sous-titrage pour sourds et malentendants, puis de l’audiodescription. De la même manière que la démarche a été pour moi d’aller chercher une personne en situation de handicap pour jouer le personnage principal, quand elle m’a parlé de Retour d’image, il me paraissait évident que je devais aller vers les personnes concernées pour travailler sur l’audiodescription. Pour revenir à ce qui m’a motivé, je trouve difficile de se dire que les films que l’on crée ne sont pas accessibles à tout le monde, et c’est encore plus dur de se dire que l’on y avait pas pensé avant.

La question du handicap est présente dans ton film…

Le film est en effet inspiré de l’histoire d’un jeune homme probablement autiste. Je me suis dit que la moindre des choses serait de trouver un comédien qui était dans une situation semblable. Ensuite, en rencontrant Clément (Langlais), j’avais l’impression, peut-être à tort, que sa présence me permettait de passer à autre chose, plutôt que de me focaliser sur cette question du handicap. Cette donnée était intégrée au film, et l’on pouvait passer à un autre sujet qui était la passion du personnage pour cet arbre qu’il avait vu dans le tableau de Courbet. Cette question du handicap devenait une donnée parmi d’autres, qui n’était pas forcément explicite, pas forcément visible, mais néanmoins présente.

Photo : Au musée, une jeune femme tourne la tête vers Carl, qui est de dos face à la toile Le chêne de Flagey
Photo : Au musée, une jeune femme tourne la tête vers Carl, qui est de dos face à la toile Le chêne de Flagey

As-tu rencontré des difficultés ou des besoins particuliers pour la mise en accessibilité ? 

Dans mon cas, cela n’était pas prévu dans le budget du GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques). Nous avons donc fait appel à un financement participatif pour inclure l’accessibilité dans la postproduction. Lorsque j’ai annoncé cela à la production, ils étaient plutôt ouverts et curieux, car ils n’avaient fait qu’une seule fois de l’audiodescription auparavant. Ils m’ont donc accompagné dans cette direction, mais ne savaient pas à qui faire appel. En dehors du financement, il n’y a donc pas eu vraiment de difficultés, puisqu’à partir du moment où l’on m’a mis en contact avec Retour d’image, le plus dur était fait. La difficulté aurait été de ne pas savoir à qui m’adresser pour faire l’audiodescription.

Es-tu intervenu dans l’étape d’audiodescription ?

Nous nous sommes rencontrés une première fois avec Marie (Marie Fiore, auteure de la version audiodécrite) pour échanger autour de notre vision du film, et j’ai vu qu’elle avait très vite compris mon intention de départ. Marie a ensuite réalisé une première version, qu’elle m’a envoyée. J’y ai fait des corrections très mineures, sur des détails qui n’étaient peut-être pas aussi explicites que je le pensais dans mon film, mais pas sur son écriture. Ensuite, nous nous sommes rencontrés avec Marie-Pierre (Marie-Pierre Warnault, collaboratrice aveugle à l’audiodescription) et Marie, tous les trois. Marie-Pierre réagissait au texte de Marie, et là il fallait prendre des décisions sur la meilleure phrase à dire pour chaque scène. Par écrit, cela me convenait, c’était fidèle à ce que je voyais. Mais, en dehors du fait que je n’avais pas suffisamment de recul parce que j’avais réalisé le film, je n’étais pas non plus capable de me mettre à la place d’une personne aveugle. Et c’est seulement quand j’ai eu les impressions et les questions de Marie-Pierre, que je me suis vraiment rendu compte des enjeux de l’audiodescription. Cela ne me semble pas imaginable de ne pas participer à cette étape. Cette audiodescription va quand même être la clé d’entrée du film pour un spectateur aveugle ou malvoyant, et si le sens du film est biaisé ou pas vraiment respecté, je trouve cela dommage. Pour moi l’audiodescription fait maintenant partie du film. Ce n’est pas une option, et il fallait donc que ce soit cohérent avec l’atmosphère du film.

Photo : Carl sur une route mouillée de campagne, un troupeau de vaches derrière lui
Photo : Carl sur une route mouillée de campagne, un troupeau de vaches derrière lui

Quel regard portes-tu sur la version audiodécrite de ton film ?  

Je me suis rendu compte de l’importance de la précision du texte. Au départ, ce qui est perturbant, c’est que l’audiodescription porte malgré tout l’attention sur des choses en particulier, et qu’elle met de côté d’autres éléments. En voyant les images avec l’audiodescription, j’avais l’impression que c’était réducteur. Mais il était impossible de tout dire. Ce travail m’a donné un autre regard sur le film.  Il m’a fait prendre conscience du rythme que j’avais donné. Il souligne encore plus tous les effets visuels, dont certains m’avaient totalement échappés.

Quels sont selon toi les critères d’une audiodescription réussie ?

Je trouve que la manière dont on a travaillé, à trois, c’est un bon exercice et un exemple positif pour mettre en place une audiodescription : que quelqu’un qui soit sensiblement attaché au film – qui l’a écrit, réalisé, ou monté – y participe, qu’une personne qui connaisse l’audiodescription écrive le texte, et aussi qu’au moins une personne aveugle ou malvoyante le relise… Je trouve que la collaboration avec Marie-Pierre a été un plus. Pour moi, elle est la première spectatrice du film audiodécrit. Si on pouvait faire les choses en grand, ce serait même bien de projeter la version audiodécrite à plusieurs personnes aveugles pour avoir un retour sur leurs ressentis. Car ici, nous partagions tous les trois le même ressenti par rapport au film. A partir de maintenant, c’est quelque chose que je voudrais imposer pour mes prochains projets. Mais je me rends compte aussi que le GREC est un lieu particulier. Je ne sais pas si l’écoute sera la même avec d’autres productions au vu de l’économie actuelle du court-métrage…

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