En chair et en os

(Carne trémula)

1997

Réalisation : Pedro Almodóvar
Fiction ; Espagne ; 101 min.

Personnages : David (Javier Bardem), Elena (Francesca Neri), Victor (Liberto Rabal), Clara (Ángela Molina), Sancho (José Sancho), Isabel (Penélope Cruz)

Genre : Film noir érotique

L'histoire

Víctor se rend chez Elena, avec qui il a récemment eu une relation. Elle ne veut pas le recevoir, et s’ensuit une dispute. Deux policiers, Sancho et David, arrivent à cause de l’agitation, et un coup de feu est tiré. David est blessé. Quelques années plus tard, David, désormais marié à Elena, est paraplégique. Il joue au basket handisport à haut niveau. Victor sort de prison…

Impact

En chair et en os est le douzième long métrage de Pedro Almodóvar, cinéaste espagnol qui s’était fait connaître depuis les années 80 avec des films comme Femmes au bord de la crise de nerfs (1988) ou Talons aiguilles (1991). Almodóvar était alors un représentant emblématique de la « movida », mouvement culturel de la jeunesse espagnole, symbolique de la libération du pays après la mort du dictateur Franco. En chair et en os s’inscrit clairement dans les obsessions formelles et thématiques du réalisateur : rebondissements mélodramatiques, sexualité explicite, jeu avec les références cinématographiques, point de vue sur l’histoire politique de l’Espagne.

On trouve dans le film le célèbre acteur Javier Bardem, avant qu’il ne se lance dans une carrière hollywoodienne, ainsi qu’une jeune Pénélope Cruz dans un petit rôle (il s’agit de sa première collaboration avec Almodóvar). Trois acteurs du film sont nommés aux Goyas (l’équivalent espagnol des César) en 1998 : Javier Bardem, Ángela Molina et José Sancho, qui remporte le Goya du meilleur acteur dans un second rôle.

Éclairage

Le titre original d’En chair et en os est Carne Trémula : chair tremblante. Almodóvar s’intéresse aux corps, à la sensualité qui s’en dégage, aux contacts et aux frictions entre eux.

Un protagoniste handicapé est présent : David, interprété par Javier Bardem qui n’est pas lui-même handicapé. Le cinéaste choisit de présenter le personnage comme pratiquant un sport de haut niveau (basket-ball en fauteuil roulant). Les membres de son équipe sont incarnés par de véritables athlètes handisport ; des scènes d’entraînements et de matchs font montre de leur talent, mais ils ne sont pas des personnages à proprement parler.

Almodóvar héroïse David : non content d’avoir été blessé dans l’exercice de ses fonctions de policier, il est le plus fort de son équipe et participe aux Jeux Paralympiques. De plus, Almodóvar valorise sa force physique, comme s’il cherchait à montrer que le personnage n’est pas rendu impuissant par son handicap. On le voit ainsi capable de se déplacer seul, de descendre des escaliers en fauteuil, de se hisser dans sa voiture, de se battre, etc.

Pendant quelques séquences, on entrevoit le rapport entre David et sa femme, qui est son aidante. Les soins qu’elle lui prodigue prennent une dimension sensuelle, comme dans la scène de bain qui devient une scène de sexe (même si elle est rapidement interrompue). La sexualité est centrale dans l’intrigue : Victor cherche à se venger en devant le « meilleur baiseur du monde » et parvient à ses fins en couchant avec Elena. Lors d’une scène de bagarre, la rivalité amoureuse s’incarne littéralement dans les parties génitales, avec le coup de poing administré par David à Victor.

On peut reconnaître au film que le corps de David est tout aussi érotisé et objet de désir que celui de personnages féminins et de Victor. Son handicap n’a pas entamé son pouvoir de séduction, et il y a même une forme d’homo-érotisme dans sa relation avec Victor. Cependant, le récit orchestre son éviction au profit d’un homme valide qui a toutes ses capacités physiques et sexuelles. David semble « compenser » son handicap par la pratique du sexe oral (on le voit initier des cunnilingus), mais cela ne suffit pas et il finit par disparaître de l’histoire …

Parentés thématiques

En chair et en os résonne avec d’autres films d’Almodóvar, où des personnages deviennent malades ou handicapés, comme le cinéaste qui devient aveugle dans Etreintes brisées (2009) ou les deux femmes qui tombent dans le coma dans Parle avec elle (2002). Almodóvar a rarement mis en scène des personnes handicapées de naissance, sans doute parce qu’il s’intéresse aux corps mutilés, accidentés, à la transformation subie par les personnages, et non pas réellement au handicap en tant qu’identité des personnes.

On pense aussi au mélodrame espagnol Mar Adentro d’Alejandro Amenábar (2004) où Javier Bardem jouera le rôle d’un marin tétraplégique qui s’est battu durant vingt-neuf ans pour le droit à l’euthanasie.

Enfin, Almodóvar rend hommage à La vie criminelle d’Archibald de la Cruz (1955), puisqu’on le voit à la télévision au début d’En chair et en os. Ce film mexicain de Luis Buñuel explore les traumatismes psychologiques de son protagoniste.

Autrice : Anna Marmiesse

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