Crip Camp : A Disability Revolution
2020
Réalisation : Nicole Newnham, James LeBrecht
Documentaire, Etats-Unis ; 108 min.
Avec : James LeBrecht, Judy Heumann, Kitty Cone, Denise Sherer Jacobson, Larry Allison, Stephen Hofmann, Corbett O’Toole
Résumé
Constitué d’archives et d’entretiens, le film retrace l’histoire du camp Jened, surnommé “crip camp” (le camp des estropiés), une colonie de vacances destinée aux jeunes en situation de handicap, ouverte de 1951 à 1977, près de Woodstock.
En parallèle des images du quotidien dans le camp de vacances – dont l’organisation permet aux jeunes d’apprendre ensemble la vie en communauté, de s’émanciper, et d’avoir des échanges enrichissants sur leurs expériences communes – le documentaire suit la trajectoire de certains d’entre eux, devenus des figures incontournables de la lutte pour les droits des personnes handicapées dans les années 1970. À travers ses archives variées, le film parvient à mettre en lumière les engagements de ces activistes qui ont permis, à terme, de faire adopter des lois pour améliorer leurs conditions de vie et leur quotidien.
Éclairage
Le film explore l’histoire du mouvement pour les droits des personnes handicapées aux États-Unis qui, bien que souvent ignoré ou méconnu, reste néanmoins fondamental dans la lutte contre les discriminations validistes et en faveur de la vie autonome. Dans un entretien pour la revue Beaview1, Cécile Morin, militante au CHLEE2, déclare : “On voit des personnes handicapées en train de changer le cours de l’histoire : je n’avais jamais vu d’images d’archives comme ça ! (…) Je suis née en 1977, et on ignorait totalement qu’il y avait eu des luttes politiques de personnes handicapées.”
La lutte est représentée à l’écran dans ses aspects les plus spectaculaires : des manifestations, des grèves de la faim, des conférences, et même des occupations de bâtiments fédéraux. Ponctué de nombreux témoignages, Crip Camp illustre ce combat au regard d’engagements à la fois collectifs et individuels. Un coup de projecteur est mis sur le travail militant de Judy Heumann, ancienne pensionnaire du camp Jened, devenue par la suite une des meneuses de la lutte pour la réglementation de l’article 5043, et ayant participé aux sit-in et aux manifestations pour l’American with Disabilities Act.4
Le co-réalisateur du film James LeBrecht est lui aussi un ancien pensionnaire du camp. Adolescent à l’époque, il a tourné la plupart des archives à Jened. Il est aujourd’hui un ingénieur du son reconnu en Californie. Le fait qu’une personne concernée se soit emparée du sujet confère à ces images une forte portée symbolique.
Au-delà de son message profondément engagé, le film conserve cet esprit à la fois révolutionnaire et bienveillant propre aux années 1970, et se dévoile comme une véritable ode à la joie et à la liberté. Les protagonistes sont encouragés dans leur quête d’émancipation personnelle, réinvestissant des icônes marginalisées, comme dans une séquence de strip tease mémorable sur une chanson du Rocky Horror Picture Show.
Impact
Crip Camp sort en exclusivité sur Netflix en mars 2020. Produit par le couple Obama et récompensé au festival du film de Sundance, il bénéficie d’une bonne couverture médiatique et d’un excellent accueil sur la plateforme de streaming. Il a également été nommé pour l’Oscar du meilleur documentaire.
La popularité du film a contribué à politiser le sujet, et à démocratiser le modèle social du handicap5. Plus largement, en rappelant notamment le soutien logistique apporté par les Black Panthers lors des manifestations6, le film cherche à rendre leurs lettres de noblesse aux différents acteurs des disability rights movement et à revaloriser la convergence des luttes.
Le camp Jened, en tant que lieu de rencontres et de partage, favorise également la conception des espaces non-mixtes comme quelque chose de positif et libérateur, à l’opposé du modèle contrôlant des institutions, où les personnes handicapées ne sont pas encouragées à réfléchir ensemble pour organiser des actions collectives. Ainsi, le film aborde avec subtilité la question de la non-mixité choisie face à la non-mixité imposée.
Durant l’été 2020, à la suite du succès fulgurant du film, un projet baptisé The Crip Camp Official Virtual Experience voit le jour et réuni plus de 10 000 participants. Il consiste en une série d’ateliers en ligne, regroupant des internautes confinés aux quatre coins du globe, pouvant échanger sur les sujets qui les préoccupaient, et partager leurs idées pour nourrir la lutte. Tout comme Jened a été un lieu emblématique d’émancipation pour ses pensionnaires, le film lui-même a ensuite servi de support pour renforcer ce précieux lien communautaire à travers le monde.
Parentés thématiques
Le sujet des luttes antivalidistes et de la politisation du handicap est encore assez rare au cinéma. Ainsi, il existe peu de films avec un point de vue similaire à Crip Camp.
On peut citer Defiant Lives (2017), un documentaire australien réalisé par Sarah Barton, qui réunit des archives, des interviews avec des activistes et des chercheurs en Disability Studies.7
En France, Fils de Garches (2020), réalisé par Rémi Gendarme-Cerquetti, revient sur le quotidien dans les institutions françaises avec un regard situé.
Code of the Freaks (2020) un documentaire d’entretien américain paru la même année, s’interroge sur les liens entre représentations audiovisuelles et réalité sociale.
Autre lien du côté de la fiction : Tout commence avec nous (2022), un film britannique inspiré de la vie de Barbara Lisicki et Alan Holdsworth, un couple de militants très actif dans les années 1990, luttant pour l’égalité des droits au Royaume Uni, et s’opposant à une image sentimentaliste et déshumanisante du handicap.
Retour sur la séance « Crip Camp » de Retour d’image (janvier 2022)
Site du film : www.cripcamp.com
Dossier pédagogique en anglais : Changing the Narrative of Disability in Documentary Film: A Toolkit for Inclusion and Accessibility (PDF)
Autrice : Maya Legrain