Autour du sous-titrage SME : Le travail d’adaptation au Joli Mai

20/12/2023

En 2023, avec le soutien du Fonds d’accessibilité du ministère de la Culture, Retour d’image a produit les versions adaptées des films En route pour le milliard (de Dieudo Hamadi) et Code of the freaks (de Salome Chasnoff), et notamment les versions sous-titrées pour les personnes sourdes et malentendantes (SME). Pour cette adaptation, l’association a fait appel à la SCOP Le Joli Mai, une structure créée en 2013, spécialisée dans le sous-titrage, l’accessibilité et le cinéma numérique.
Nous avons rencontré Yan Bersans, qui est traducteur et chef de projet. Après un Master en Traduction et Interprétation à l’Université Jean Jaurès de Toulouse, Yan a réalisé un stage au Joli Mai, qui s’est ensuite prolongé. Il fait partie de l’équipe du Joli Mai depuis plus de deux ans, et a travaillé sur les versions sous-titrées SME produites par Retour d’image.

Retour d’image : Comment définiriez vous le sous-titrage SME ?

Yan Bersans : Le sous-titrage adapté permet aux spectateurs sourds et malentendants de ne pas passer à côté d’éléments sonores, d’éléments liés à la localisation du locuteur, qui sont importants pour la compréhension du film et de son ambiance générale. Il y a déjà beaucoup de choses que l’on peut comprendre à travers l’image. Par exemple, quand on voit un chien qui aboie à l’image, pas besoin d’ajouter l’information. Lorsque j’effectue ce travail, je me pose toujours la question : que manque-t-il à l’image ? Même s’il y a une part de subjectivité, et qu’il est impossible de se mettre dans la tête d’une personne sourde.

Quelles sont les étapes de réalisation d’un sous-titrage adapté ?

Tout d’abord, il y a une phase de définition du besoin avec le client. Le support de diffusion d’un film (DCP, plateforme VOD, télévision ou même DVD) influence la façon de faire, et le format des sous-titres. Pour chaque besoin, il y a un format. À partir de ces éléments, nous proposons un tarif à la minute, qui peut varier en fonction des besoins et de l’urgence. Comme les sous-titres arrivent en bout de chaîne, cela peut avoir une incidence sur le budget et les délais… Les commandes sont passées par les producteurs ou distributeurs, même si pour les films français, nous avons parfois des réalisateurs, en lien avec le producteur.
Une fois le besoin défini, il nous faut récupérer le fichier vidéo du film, ainsi qu’une transcription des dialogues. La transcription est quasi-indispensable, sauf si on est en contact avec les personnes qui ont réalisé le film. Elle permet d’éclairer sur des noms propres par exemple, ou encore sur une musique. Lorsque les travaux sont lancés, chaque adaptateur peut avoir une approche différente. Beaucoup procèdent d’abord au repérage, pour identifier les espaces où placer les sous-titres, puis réalisent l’adaptation. De mon côté, je préfère faire le repérage et l’adaptation petit à petit, sous-titre par sous-titre, ou séquence par séquence. Il existe aujourd’hui des outils qui rendent le travail de repérage moins difficile techniquement.
Avant la livraison des fichiers, nous procédons à une phase de simulation. Dans notre cas, cette relecture est faite par une autre personne que celle qui a réalisé l’adaptation. Elle simule l’adaptation seule, et il y a ensuite une phase d’échanges avec l’adaptateur, souvent par mail ou par téléphone, pour discuter des éléments relevés. Pour d’autres laboratoires, la simulation peut être effectuée en présence d’une personne liée à la réalisation, à la production ou à la distribution du film, par exemple. En tant qu’adaptateurs, nous sommes garants du sens des termes utilisés auprès du spectateur, garants de la fidélité à l’œuvre. Nous avons donc une grande responsabilité, et c’est pour cela qu’il est important d’avoir une autre personne pour la simulation, afin d’apporter un nouveau regard, plus frais et avec plus de recul !
En plus de la simulation, nous réalisons également une auto-évaluation grâce à des logiciels qui vérifient certains points comme le respect de certaines normes de sous-titres, ou l’orthographe.

Quelle est la durée moyenne de réalisation d’une version sous-titrée SME pour un long-métrage ?

Entre deux et trois semaines, à condition d’avoir tous les éléments à disposition, et cela dépend aussi des versions demandées.

Extrait du film En route pour le milliard, en version sous-titrée SME et audiodécrite (la version audiodécrite a été réalisée par La Compagnie Véhicule)

Comment intégrez-vous l’avis des spectateurs sourds dans vos pratiques ? Travaillez-vous avec des collaborateurs sourds ? 

Nous manquons de temps pour nous donner les moyens d’avoir des retours du public, et nous n’avons pas de collaborateurs sourds. Je ne sais pas exactement pour quelle raison. Je suppose que la barrière de la langue doit beaucoup jouer. J’aimerais être locuteur de LSF (langue des signes française), et malheureusement je ne le suis pas. Personne ne l’est au Joli Mai. Cela nécessiterait donc de faire appel à des interprètes. Il est très rare d’avoir des retours des spectateurs, tout comme des commanditaires. Pourtant, ils nous sont précieux, nous permettent d’évoluer et de créer un dialogue.
Pour les spectateurs, on ne sait pas trop à qui s’adresser. Je me souviens que nous avons fait une formation avec l’association Sens Dessus Dessous, qui organise des événements de cinéma avec les publics sourds. Nous y avions justement abordé la question du sous-titrage SME et des préférences des spectateurs sourds, en montrant des extraits qui étaient des cas particuliers sur lesquels il nous arrive de ne pas être d’accord entre adaptateurs. Il était surprenant de constater que les personnes sourdes présentes n’étaient elles-mêmes pas d’accord sur la meilleure solution à envisager pour le sous-titrage des extraits. Il y a donc encore un travail à faire en termes de normalisation.

En France, le sous-titrage suit des principes énoncés par la Charte du sous-titrage de 2011.
Ce type de sous-titrage adapté, avec un code couleur et des règles de placement, est-il utilisé dans d’autres pays ?

Je sais qu’il existe des sous-titrages similaires dans d’autres pays. Je n’ai pas de liste précise, et ne sais pas à quel point ces règles sont bien respectées. Pour anecdote, j’ai eu l’occasion de travailler sur un film espagnol avec une charte de couleur proche de celle que nous avons en France. Mais il y avait une différence majeure : les couleurs étaient utilisées pour différencier chaque personnage, chaque locuteur, et non pour différencier les types d’indications sonores. Les indications musicales y étaient mentionnées entre crochets ou en blanc, comme dans le sous-titrage anglais.

Selon vous, quelle est la plus-value du sous-titrage adapté français ?

Le code couleur et les règles de placement permettent une spatialisation du son que l’on ne retrouve pas dans d’autres sous-titrages adaptés. Il y a des indications sonores dans les CC américains (NDR : closed captioning ; sous-titrage adapté utilisé aux États-Unis), en revanche, il n’y a aucune indication sur l’origine spatiale du son. Et pour un spectateur sourd, la spatialisation est très importante.

Certaines bandes-son nécessitent-elles une plus grande attention ?

Oui, par exemple sur des films contemplatifs, on ne sait pas toujours à quel moment placer des informations, ou comment doser. Est-ce que l’on sous-titre chaque son ? Doit-on éviter de surcharger l’écran ? Ce qui peut être compliqué également, c’est le contraste entre ce qui se passe à l’image et ce qu’on entend. Lorsqu’il y a une scission entre le son et l’image, il est difficile de transmettre l’ambiance que cela créé.

Le sous-titrage des musiques est souvent succinct ? Quelle est votre réflexion à ce sujet ?

C’est vrai, les indications musicales sont très succinctes. En fonction de nos goûts, nous pouvons avoir des connaissances dans certains genres musicaux, sur certains instruments. Cependant, il faudrait être un mélomane complet pour tout identifier. Le plus souvent nous essayons de donner le genre de la musique, un adjectif qui décrit l’émotion qu’elle est censée produire, et les évolutions du morceau. Les possibilités dépendent aussi de l’espace dont nous disposons. C’est plus facile lorsque la musique est lente et progressive.
Là encore, il y a une part d’interprétation. Il m’est arrivé d’associer une émotion à une musique, et durant la simulation, ma collègue n’avait pas du tout le même ressenti. L’émotion autour d’une musique ne sera pas la même pour tous. Comme nous avons rarement accès aux réalisateurs, nous essayons de nous rapprocher ce qui nous semble le plus probable, par rapport à ce que nous comprenons du film.

Quels ont été vos principales contraintes dans l’adaptation de Code of the freaks et En route pour le milliard ?

Ce sont deux documentaires avec des formats très différents. Code of the freaks est un documentaire avec des intervenants face caméra, et des extraits de films. C’est un film très structuré, et aussi très bavard. Dans ce genre de films, il est plus compliqué d’ajouter des informations musicales et sonores.
L’autre difficulté, c’est que le film alterne entre des personnes interviewées, et des extraits de films sur lesquels on peut entendre à la fois la voix de l’intervenant et le son de l’extrait. Qui parle ? La personne interviewée, un personnage du film ? En hors-champ ou non ? Le documentaire multiplie les couches d’indications, et il faut donc être très attentif aux codes, aux italiques, pour être sûr de comprendre qui parle, et dans quel espace-temps. Sans couleur et sans placement, il faudrait s’accrocher pour garder le fil.

Extrait du film Code of the freaks, en version sous-titrée SME et audiodécrite (la version audiodécrite a été réalisée par La Compagnie Véhicule)

Avec En route pour le milliard, c’était pour le coup moins bavard. Ce qui permet de décrire beaucoup plus l’ambiance musicale et sonore. En revanche, étant donné la langue du film, on ne pouvait pas trop reformuler les sous-titres des dialogues, alors que parfois, on aimerait réduire le texte, pour ne pas surcharger la lecture par le spectateur. On oublie souvent un détail, qui est que pour beaucoup de personnes sourdes leur langue n’est pas le français, c’est la langue des signes française. Certains peuvent avoir plus de difficultés à la lecture. De plus, on cherche à éviter autant que possible que le spectateur reste rivé sur les sous-titres, et passe à côté des images.
Autre difficulté sur ce film : ce sont les passages où la caméra est mobile, où les personnes changent de plan, où il y a peu de luminosité. Quand une caméra bouge beaucoup, est-ce que l’on place le sous-titre à l’endroit où la personne qui parle se trouve le plus ? Est-ce qu’on le place à l’endroit où elle se trouve au début du sous-titre ? Quand plusieurs personnes parlent à l’image et disent des choses intéressantes en même temps, il faut revoir la scène plusieurs fois, et faire des choix. C’est dans ces cas-là que les couleurs me semblent indispensables.

Quelles évolutions constatez-vous dans le domaine du sous-titrage SME ?

En ce qui me concerne, en prenant en compte que deux ans et demi d’expérience c’est peu, j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de demandes pour des festivals de cinéma. Et de manière plus générale, je trouve que la question de l’accessibilité est mieux comprise. Avant, beaucoup considéraient que le sous-titrage classique était suffisant pour l’accessibilité de films étrangers, par exemple. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est moins le cas, et que les gens comprennent mieux l’intérêt d’un sous-titrage adapté.
Après avoir posé la question à deux de mes collègues qui travaillent dans le domaine depuis une dizaine d’années environ, ce qui ressort également, c’est que le sous-titrage SME est plus systématique pour les sorties salles et DVD, notamment grâce aux aides du CNC. C’est le cas pour les productions françaises où le sous-titrage SME est prévu dans le budget, comme l’audiodescription. De plus, le passage au cinéma numérique et l’évolution des outils de sous-titrage rendent le sous-titrage SME de plus en plus simple et accessible techniquement parlant.
Cependant, la charte n’a pas réellement évolué depuis 2011 et les normes pour la télévision sont parfois trop restrictives, certaines normes techniques pour la télévision n’ayant pas évolué depuis les années 1980.

Comment appréhendez-vous les avancées de l’intelligence artificielle dans votre domaine d’activité ?

Elle va très vite, voire trop vite. Quand on se rend compte qu’elle est capable de faire une chose, il est déjà trop tard. Je ne sais pas s’il y a un logiciel avec IA pour faire du SME à la française. Pour les CC anglophones, il y a probablement un logiciel. Quand je pense à tout ce qu’implique le sous-titrage français (choix des couleurs ou des placements), je me dis que cela reste encore compliqué. Est-ce qu’une IA peut savoir si la personne qui parle est dans le cadre ou hors-champ, et donc savoir si on met le sous-titrage en blanc ou en jaune ? Même chose, en fonction du mixage, savoir si la scène se situe dans un flash-back et donc qu’il faut sous-titrer en italique ?

Quels seraient les enjeux actuels de votre métier ?

Cela me paraît essentiel que pour chaque film, il y ait une version accessible ; que tout le monde puisse profiter de la même offre cinématographique. Les choses ont avancé, même si cela passe par des obligations légales. Il y a une réflexion à avoir sur l’archivage des versions sous-titrées SME : donner une meilleure visibilité sur qui dispose de cette version, sur quel support…
En termes de qualité du sous-titrage, ne serait-il pas possible d’avoir un cadre commun qui serait quasiment universel ? Lorsque nous avions fait cette formation avec Sens Dessus Dessous, nous nous sommes rendu compte que sur certains points, une personne sur deux comprenait ce que nous voulions dire. De plus, nous produisons des sous-titres à partir d’une charte établie en 2011, tout en ayant des pratiques qui depuis ont pu évoluer tacitement. Il est difficile pour nous de savoir si cette charte est assimilée par les personnes sourdes, si le sous-titrage que nous produisons correspond aux besoins. C’est peut-être un travail à engager, avec les associations, les laboratoires de sous-titres, pour mieux s’informer sur l’évolution des attentes, mettre à jour les pratiques, créer des sous-titres plus adaptés encore.

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