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JE SUIS

LE POINT DE VUE DE MATTHIEU TAPONIER
responsable éditorial du festival

A propos de Je suis de Emmanuel Finkiel, long métrage en compétition

Matthieu Taponier

Il y a un privilège certain à participer à l’élaboration d’un festival de cinéma, c’est l’accès qui nous est offert à des œuvres en cours de gestation. C’est le cas de Je suis, le prochain film encore inédit d’Emmanuel Finkiel, qui concourt au Prix du Public du festival Un Autre Regard.

En visionnant une copie de travail du film, j’ai découvert que ce documentaire bouleversant sur la rééducation de trois personnes touchées par un traumatisme crânien s’intitulait à l’origine Donc je suis.

A un moment donné, Emmanuel Finkiel a soustrait de son titre la conjonction « donc ». Donc je suis est devenu Je suis, tout court. Je ne crois pas que ce changement de titre tardif soit anodin. Il révèle un changement de regard chez le cinéaste.

En faisant explicitement référence à Descartes (« Je pense, donc je suis »), j’imagine que le film devait initialement proposer une réflexion sur la conscience de soi des personnes atteintes dans leurs facultés intellectuelles.

Et en effet, certaines séquences, parmi les plus puissantes du film, montrent des patients luttant contre les déficiences de leur mémoire et de leur faculté de raisonnement, faisant le difficile réapprentissage du lien entre les mots et les choses, et surtout de leur identité à soi-même.

Chantal ne se reconnaît pas sur une photographie. Christophe refuse de se regarder dans la glace. Le troisième patient, également nommé Christophe, souriait constamment avant son accident. « On le reconnaissait à son sourire », nous confie sa mère. Or Christophe a aujourd’hui un visage figé, inexpressif. Christophe sans son sourire est-il toujours Christophe ? Et si, à la faveur de la rééducation, Christophe retrouve son sourire, est-il redevenu lui-même ?

Le film devait sans doute trouver sa conclusion dans une « méditation » toute cartésienne : une déficience des facultés mentales n’implique pas pour autant l’annulation de leur personne. Ils continuent de penser malgré tout. Donc ils sont.

Que se passe-t-il lorsque le titre du film perd sa conjonction et devient Je suis ?

Tronquée mais encore explicite dans le titre précédent, la référence à Descartes s’estompe tout à fait. Désormais, l’accent n’est plus mis sur les facultés de raisonnement des patients, ni sur leur problématique identité à soi-même. L’accent est mis sur la pure et simple affirmation de soi.

Lorsque Christophe se remet à marcher, lorsque Chantal dit : « J’en ai marre ! », lorsque Christophe, le prof de tennis, raconte une blague, leur présence est évidente, elle se passe de toute logique. Peu importe si je suis aujourd’hui qui j’étais hier.

Je suis, un point c’est tout.