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Bilan du festival

« Un bol d’air frais » – retour sur la première édition du festival Un Autre Regard.

Par Diane Maroger et Nadia Meflah

En trois jours, du 29 au 31 mars 2012, ce fut, selon l’expression d’un spectateur, « un bol d’air frais ». Quelques données chiffrées : 1947 entrées – 430 élèves d’écoles primaire, de collège et de lycée – 29 films audiodécrits dont 12 courts métrages auxquels s’ajoutent 5 épisodes de Vestiaires, la série télé culte de France 2 et le court métrage Les bons sentiments, inédit produit par Les Toiles Enchantées et co-réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache. La pluralité des formes (tant de production que d’esthétique) et des regards était proposée au public pour une meilleurs appréhension de la diversité culturelle. Mais revenons à l’origine, avant cet air frais que nous avons tous ressenti à Saint-Gilles-Croix-de-Vie….

Lorsqu’à Retour d’Image, nous avons commencé à imaginer ce festival, nous étions à la fois enthousiastes et anxieux. Enthousiastes, car depuis plus de 8 ans, l’association s’est engagée pour l’accessibilité du cinéma, certes avec des moyens modestes, mais avec cette conviction citoyenne et cinéphile : le cinéma est un art populaire qui permet absolument la rencontre des publics et des perceptions. Mais avouons-le, nous étions aussi anxieux, car nous nous retrouvions devant une grande inconnue : la nouveauté du territoire. Même si nous avons l’expérience de travailler avec les publics en situation de handicap, la proximité et les liens tissés par le temps partagé sont des facteurs essentiels pour la réussite de tout projet culturel.

Nous sommes conscients de cette fragilité, plus encore parce que nous portons un projet à la thématique sensible : le handicap. Qu’est-ce qui peut amener le spectateur à venir dans une salle de cinéma pour découvrir un film dont le cher sujet est le personnage handicapé ? Ne va-t-il pas fuir cette invitation qui lui est faite ? Comment éviter le voyeurisme ou l’indécence ?

L’immense empathie nationale qu’a suscité Intouchables d’Olivier Nakache et Eric Toledano a permis à tout un chacun d’aborder, peut-être plus aisément en 2012, la question de la représentation et de l’existence du handicap au cœur du cinéma. La pluralité de la société, avec toutes ses sensibilités, est une richesse. Lorsque celle-ci innerve le cinéma, elle offre au public des moments d’émotion d’une rare beauté. Nous étions absolument convaincus, dès le départ, que c’était cette beauté des regards que nous avions à chercher pour l’offrir au public.

Mais de quel public parlions-nous exactement, et comment faire en sorte qu’il soit bien présent ?

La diversité des œuvres

La France est riche d’une grande tradition culturelle, héritière d’un patrimoine à redécouvrir sans cesse et, par son action politique, attachée à l’offre culturelle pour tout citoyen. L’industrie du cinéma est un facteur important de l’économie et du rayonnement de notre pays. « Changer son regard sur le handicap », certes, mais plus encore, proposer Un Autre Regard, sur le cinéma aussi, avec ces chemins de traverse de la création cinématographique. Double exigence qui, de fait, est la même : celle de la beauté et de la pertinence des représentations…

Faire se frotter le film colombien incandescent Porfirio, inconnu du grand public, à la générosité enthousiaste d’Hasta la Vista en présence du cinéaste Geoffrey Enthoven – devant un public mixte de près de 500 spectateurs vendéens, tous conquis. Mettre en écho les éclats de Michel Petrucciani de Michael Radford en présence de son monteur Yves Deschamps – généreux et complice dans sa parole – avec le témoignage engagé et pertinent de Sandrine Herman, venue accompagner un autre long métrage inédit, The Hammer, devant un public enthousiaste comprenant de nombreux spectateurs sourds cinéphiles.

La Rencontre des publics

Il y a eu des moments uniques et précieux durant ce festival. Lorsqu’une femme s’exclame doucement : « C’est moi sur l’écran, c’est ma vie » à l’issue de la projection du court métrage Ya Basta de Gustav Kerven, film libertaire et revigorant, interprété et incarné par des hommes et des femmes handicapés mentaux. Il y eu des moments de grâce, lorsque nous sentions que, peut être pour la première fois, des hommes et des femmes vivaient une expérience unique que seul le cinéma peut proposer : la transfiguration des peines et des joies. Cette séance de courts-métrages comiques et tendres, accueillait des hommes et des femmes touchés par le handicap cognitif. La rencontre a eu lieu, ce quelque chose d’impalpable qui réconcilie ce qui souvent achoppe… Comme ce fut le cas pour les séances en présence des élèves de l’école Edmont Bocquier dont certaines et certains sont en Classe d’Inclusion Scolaire et rencontraient dans la salle et sur l’écran le travail de jeune lycéens issu d’une Institution Médicalisée Éducative. Des émotions ont été partagées lorsque les jeunes adolescents ont compris combien leur film d’atelier La Nature dans tous ses sens devenait une expérience sensitive singulière pour celles et ceux qui le découvraient en salle.

Le travail mené en amont avec les écoliers de Saint-Gilles Croix de Vie a été ce temps de l’apprentissage de la différence, centré sur la question du regard et du point de vue. Deux ateliers (de programmation et de création d’affiche de cinéma) furent pour eux l’occasion de mettre en mots et en images tout ce qui se noue dans la différence et la relation à autrui, comme à soi-même. Une jeune élève qui dit « Les handicaps c’est pas rigolo mais avec les films ça nous a permis de les voir moins tristes ». Cette autre réalise que le cinéma c’est aussi l’affaire d’hommes et de femmes touchés par le handicap : « Avant je ne savais pas qu’il y avait des gens handicapés qui faisaient du cinéma. C’est bien qu’ils participent parce que sinon ils vont rien faire et ça va les gêner parce que eux aussi ils ont des choses à dire ».
Le rassemblement joyeux des publics Sourds à l’issue de la projection de The Hammer est l’un des beaux souvenirs de cette édition dont nous faisons l’illustration du présent article.

Les Prix du public

Ce « quelque chose à dire » s’est révélé lors de l’émouvante rencontre suite à la projection du film documentaire Je suis de Emmanuel Finkiel, qui emporta le Prix du Public. Programmer ce film douloureux et tout aussi délicat fut un pari réussi, grâce à l’intervention et au témoignage de Jean-Pierre Bastid lui-même cinéaste et touché par l’aphasie, et au dialogue qui s’instaura entre les deux réalisateurs. Depuis la sortie du film en salle, la presse et le public accompagnent ce film, unanimement salué.

Un Autre Regard était l’occasion de lancer des pistes : comment rendre en un titre ce qui relève des perceptions sensorielles convoquées par le cinéma et le handicap, intrinsèquement liés : le premier enjeu était de proposer une offre culturelle double, à l’image du titre du festival Un Autre Regard, à savoir inviter le public à découvrir des films et tout autant à venir entendre et partager ce qui se joue. Et le public a joué le jeu et s’est aussi largement exprimé par son vote pour les films en compétition.

Pari réussi grâce à vous, public, grâce à votre générosité et votre écoute, ô combien sensible car nous avons aussi et surtout appris par vos témoignages par vos ressentis. Nous n’avions pas d’attentes, pas de certitudes, seulement des espérances cinéphile certes, mais surtout humanistes… et vous nous avez répondu bien au-delà de ce que nous pouvions espérer… Ce Festival est le vôtre et vous avez voulu primer deux films exigeants et sensibles : Aquarium de Bard Rossevold pour les courts, et Je suis de Emmanuel Finkiel, coté longs.

Une belle mobilisation humaine

Une cinquantaine de bénévoles Gillocruciens mobilisés, une journée professionnelle qui a réunit près de 100 spectateurs attentifs, plus d’une vingtaine d’artistes présents, de Miss Ming à Jacques Richard et Emmanuel Finkiel, et bien-sûr la malicieuse Anémone… Nous n’osions espérer un tel succès pour une première édition dans une nouvelle ville, sur le thème de l’image du handicap.

C’est la preuve que ce thème ne fait plus peur, et c’est grâce à vous tous : MERCI au Ministère des Solidarités et de la Cohésion Sociale et en particulier à l’ancienne Ministre Roselyne BACHELOT NARQUIN sans la volonté de laquelle cette nouvelle mobilisation en faveur d’un changement de regard sur le handicap ne serait pas née. Merci au Ministère de la Culture et de la Communication qui, sous le regard bienveillant de Frédéric MITTERRAND a non seulement soutenu l’économie du projet mais mobilisé toute l’équipe de Claire LAMBOLEY, chef du service de la coordination des politiques culturelles et de l’innovation au Ministère de la Culture et de la Communication. Merci aux exploitants Ken et Romaine LEGARGEANT qui ont voulu la gratuité des entrées et ont mis à disposition les salles du CINEMARINE. Merci à la ville de Saint Gilles Croix de Vie et ses associations en particulier Accessvie. Merci au Conseil Général de Vendée et à l’engagement de son président. Merci pour la mobilisation des Délégations de l’APF du 85, et du 44, de l’AVH 8 et de l’AVH au niveau national… et merci à tant d’autres. Merci aux entreprises mécènes, pour leur engagement et leur désir de prolonger le travail entamé : Pro BTP, AMP Interactive, Tadeo, la SNCF direction des Pays de la Loire.

A l’aube d’un nouveau quinquennat nous avons souhaité dans une lettre aux partenaires que les promesses des institutions publiques en matière d’accessibilité du cinéma soient tenues. Que ce festival ne reste pas un évènement isolé, mais le début d’un travail de concertation et de communication pour favoriser les efforts de tous pour l’accès de tous au 7ème art.