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Quasimodo

Le point de vue de Philippe Barrière, scénariste

sur Quasimodo de William Dieterle, présenté dans la catégorie « Revoir » samedi 31 mars à 10h.

Philippe Barrière

Dans cette septième adaptation cinématographique de Notre-Dame de Paris datant de 1939, William Dieterle offre un tableau spectaculaire d’une époque où l’autorité de la religion est menacée par l’apparition de l’écriture imprimée et la perspective d’une diffusion plus large des savoirs. Cette opposition est montrée dès l’ouverture : la machine de Gutenberg fait face à la Cathédrale. Cette dernière, considérée  clairement comme la mère de la superstition et des préjugés dans le récit, est aussi la demeure de Quasimodo.

Le regard posé par Dieterle sur le sonneur de Notre-Dame met en valeur les deux éléments principaux qui caractérisent la position du personnage handicapé dans l’histoire du cinéma classique hollywoodien : il est à la fois placé au-dessus de hommes, tel un éveilleur de leur mauvaise conscience et de l’immoralité de leur conduite,  et en-dessous des hommes, ne pouvant être reconnu par la société que dans le rôle tragi-comique du bouffon, du « roi des fous ».

En refusant à Quasimodo la possibilité d’être à hauteur des autres humains, on fait de lui un symbole négatif : un être caractérisé avant tout par les réactions de rejet qu’il suscite.

Cette caractérisation réductrice est contredite, puis dépassée dans l’histoire, par le désir qu’éprouve Quasimodo pour Esmeralda. Ce désir le rend humain, comme il rend humain l’Archidiacre Frollo. L’opposition de ces deux désirs concurrents est à bien des égards le moteur du récit. Si Quasimodo l’emporte sur Frollo, c’est parce que ce désir est fondé sur un ressentiment bien plus intense : le sonneur bossu et difforme n’a aucune place dans la société pour compenser sa frustration. Il devient à son tour un meurtrier vengeur. L’impression produite par ces scènes est saisissant mais une interrogation reste en suspend : que cherche à nous transmettre Dieterle sur les sentiments de Quasimodo à cet instant ?

Il semble bien maintenir un point de vue ambigu sur le personnage de Quasimodo, pariant davantage sur la compassion que sur l’empathie à son égard, jouant sur le spectaculaire de sa « monstruosité ». Ce faisant, il reconduit par là-même le point de vue des personnages secondaires de l’histoire sur le sonneur de Notre-Dame.

Un sous-texte à la fois ironique et tragique relie les scènes impressionnantes où Quasimodo sauve Esmeralda de l’exécution, jette ensuite des pierres sur les parisiens, jusqu’à cette scène finale où, livré à la solitude, il nous révèle toute son humanité. Assis à côté d’une gargouille en pierre, il nous convainc par ses mots qu’il ne manque ni de sensibilité, ni de raison.

Le suspense sur l’humanité profonde de Quasimodo est ainsi levé. Ce choix de dramatisation demeure cependant sujet à débat. Plus ou moins volontairement, Dieterle pointe un questionnement essentiel du cinéma commercial concernant le traitement des personnages handicapés : dans quelle mesure peut-on et doit-on permettre au public de s’identifier à eux ? Ce qui revient sans doute à la question suivante : comment le cinéma commercial doit-il se positionner par rapport aux préjugés de son époque ?

PROJECTION LE SAMEDI 31 MARS À 10H (VF)

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