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Entretien avec Sandrine Herman

Posted By Matthieu On 29 mars 2012 @ 13 h 00 min In Festival 2012 | No Comments

THE HAMMER est présenté, lors du festival, par Sandrine Herman, directrice de collection de l’émission L’Oeil et la Main (France 5)

Sandrine Herman est belle, elle a 39 ans et 2 enfants. Réalisatrice et productrice,  elle est sourde de naissance. Un matin de mars, avant le festival où elle sera des nôtres pour une rencontre autour du film The Hammer [1] de Oren Kaplan [1], Sandrine nous reçoit dans les bureaux de la maison de production « Point du Jour ». Attentionnée, elle nous prépare un (bon !) café chaud et c’est avec générosité et une grande écoute qu’elle se prêtre à mes questions. Sa pensée, vive et réfléchie, nous donne à saisir plus encore tout ce qui doit être mis en œuvre pour ce vivre-ensemble.

Que pourriez-vous nous dire sur la place des sourds dans le cinéma, et notamment dans le cinéma français ?

En France, où la culture est attaquée et où le métier de comédien n’est pas facile, un acteur sourd très limité dans son jeu. Il est considéré avant tout comme un sourd et non comme un comédien qui peut jouer n’importe quel rôle. Il est obligé d’accepter encore et toujours des rôles subalternes et reste cantonné dans des rôles stéréotypés. C’est vraiment dommage.

Aux Etats-Unis, les acteurs sont prêts à défendre leurs rôles. Le personnage sourd dans un film américain est bien intégré, certes, mais il peut aussi faire autre chose. Les sourds sont capables de parler à l’oral, ou bien ils peuvent utiliser la langue des signes. De plus, il y a des scénaristes sourds, des acteurs sourds et des réalisateurs sourds. Ils vivent ensemble et les producteurs américains sont conscients de cette réalité, ils sont plus réceptifs et participatifs.

Ici, ce n’est pas le cas. Alors que la LSF (Langue des Signes Française) est une très belle langue, très fine, très iconique, qui est étudiée et reconnue dans le monde entier, elle reste cloisonnée aux seuls sourds qui la pratiquent. Nous ne sommes pas ouverts sur le monde, et ça c’est très français ! La Langue des Signes Américaine, (ASL) utilisée dans The Hammer est moins fine, elle est plus proche de la langue écrite dans sa structure.

Pour en revenir au cinéma, en France, les comédiens tout comme les scénaristes imaginent des personnages sourds qui ne sont pas proches du réel. Par exemple, si vous prenez Sur mes lèvres de Jacques Audiard : certes, c’est un film réussi, mais il comporte des scènes invraisemblables, comme ce personnage sourd qui lit sur les lèvres de très loin. C’est absolument impossible ! D’autre part, pour les entendants, tous les sourds savent automatiquement lire sur les lèvres, ce qui est loin d’être le cas. C’est une projection qui ne reflète pas la réalité qui est bien plus complexe. L’image que nous avons des sourds est encore un regard sur le handicap, c’est : quelqu’un qui est dans une incapacité, en défaut.

Comment faire pour que la situation change ?

C’est au niveau de la société qu’il faut changer le regard. Je prends l’exemple du film The Artist. Il a fallu prendre un comédien connu afin que la production se fasse, alors qu’au départ, il y avait l’idée de prendre un acteur muet. Charles Chaplin le faisait, sa troupe comportait six acteurs muets. Mais le cinéma est un marché, c’est du commerce, et miser sur un acteur muet, et qui plus est inconnu, reste encore impensable. Je vais peut-être vous surprendre, mais lorsque j’ai appris que Jean Dujardin avait reçu l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle muet, ça m’a agacé. Nous avons en France d’excellents comédiens sourds qui auraient pu jouer son personnage, avec bien plus de profondeur et de finesse.

Ce n’est pas une loi qui va changer la société, c’est tout un chacun qui doit changer. Nous aussi nous devons faire notre propre révolution culturelle. Il y a des comédiens et des scénaristes sourds de très grand talent, mais ils sont encore méconnus du milieu qui reste très frileux et hermétique. La diversité ne s’applique pas encore dans nos représentations. C’est vraiment grave que chacun reste dans sa communauté. Nous sommes tous concernés.

Selon vous, nous demeurons encore au seuil d’une véritable perception ?

Lorsqu’un spectateur regarde un acteur qui interprète un sourd ou un aveugle, il est bluffé par sa performance, et le comédien est félicité pour son travail. A mes yeux, ça demeure d’une trop grande facilité qu’un acteur joue seulement sur la différence. Il surjoue. Alors que si un acteur avec un handicap jouait ce rôle, il y aurait une sensibilité différente, l’émotion serait unique. Et il me semble que nous verrions la personne. L’idéal serait de faire en sorte que des comédiens sourds et des comédiens non sourds puissent jouer ensemble, que des liens se créent. Il n’y a pas de série française qui reflète cette réalité. La diversité n’est pas représentée dans nos médias, alors que c’est pourtant une richesse.

Qu’en est-il de l’intégration alors ? Pensez-vous possible d’envisager un partage de la langue des signes ?

Actuellement, on parle de réparation lorsqu’un enfant qui nait est reconnu sourd. Le docteur voit avant tout une oreille qui ne fonctionne pas, alors qu’il faut absolument prendre soin de créer le lien entre l’enfant et ses parents, sans qu’ils soient bloqués par le terme « handicap » qui leur est asséné dès les premiers jours.

Pour la langue des signes, c’est vraiment paradoxal, car elle est inscrite au baccalauréat mais seulement pour les entendants ! Elle commence à être diffusée pour les entendants alors que les enfants sourds en sont destitués.

Pour la société, un enfant sourd doit être réparé. Il faudrait vraiment que le corps médical soit neutre dans son information, afin de permettre aux parents d’avoir la possibilité la plus ouverte pour leur enfant.

Il n’y a pas une réalité sourde mais des différences multiples. Certains peuvent parler à l’oral, d’autres utilisent le code, nous avons à vivre tous ensemble avec les différents moyens de communication qui existent. Je reviens encore à mon exemple des Etats-Unis où les parents sont amenés à apprendre à communiquer visuellement avec leur enfant sourd, par le toucher, par la gestuelle. Ils construisent ensemble une relation. Les parents, comme l’enfant, grandissent et évoluent dans leur apprentissage. Ici, en France, on dit « vite, vite, vite ! il faut réparer ». Mais nous ne sommes pas des machines !

Propos recueillis par Nadia Meflah

L’œil et la main

Diffusée sur France 5, L’œil et la main [2] est une collection documentaire ayant comme point de départ les interrogations originales des sourds. Les sujets et les problématiques traitées ouvrent un espace de rencontre entre sourds et entendants où s’échangent regards et points de vue sur le monde. C’est une émission bilingue français / langue des signes française. A ce titre, elle s’adresse aux uns comme aux autres.


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