« Être attentif aux besoins de chacun » : Rencontre avec l’intervenant artistique, Humphrey G. Lebrun

« Francine et Caramel, une histoire d’amour et de patins » est le résultat d’un atelier de création produit par Retour d’image, dont nous vous avions parlé le mois dernier.

Le film d’animation, réalisé par des résidents des Foyers Orhan Ger et Jean Caron de Noisy-Le-Sec, a été diffusé en avril, dans le cadre d’une séance publique au Conservatoire de Noisy-le-Sec, en version audiodécrite et sous-titrée. Cette restitution du projet a réuni près de 80 personnes : participants, familles et entourage, responsables et encadrants des deux foyers de vie, ainsi que d’autres professionnels du champ éducatif.

Photo : De dos, à la lumière, les spectateurs regardent l’écran qui se découpe dans le mur sombre de la salle : un homme dessine sur une feuille blanche.

À cette occasion, nous sommes revenus sur les spécificités de l’atelier avec Humphrey G. Lebrun, notre intervenant artistique réalisateur, qui a imaginé et animé ce projet.

Humphrey travaille depuis de nombreuses années dans le domaine de la création et de la postproduction audiovisuelle, d’abord pour la publicité, puis pour les cinémas. Tout au long de son parcours, il a appris à créer et écrire dans des délais très courts, et aussi à maîtriser différents aspects de la création audiovisuelle. Il réalise ses propres courts-métrages, et monte l’association de production Rogue Elephant en 2019. Depuis 7 ans, Humphrey mène des ateliers avec des publics dits « empêchés », dont des publics en situation de handicap, et intervient depuis 3 ans avec Retour d’image.

Retour d’image : Quels ont été les moyens nécessaires à la réalisation de l’atelier qui s’est déroulé au Foyer Orhan Ger ?

Humphrey G. Lebrun : Étant passé par le stop motion lorsque j’étais plus jeune, je voulais depuis très longtemps réaliser des ateliers autour de ce procédé. Cependant, pour faire un court-métrage de qualité en stop motion, avec un groupe, cela représentait un travail sur le très long terme (de 1 à 2 ans). Et je tenais à ce que ce film d’animation soit entièrement fait par les participants, sur un temps court, avec un résultat fluide. C’est devenu possible grâce à un détournement de technologies, à partir d’outils de la suite Abode qui a priori ne servent pas ça. En combinant After effects, Character animator et Premiere, on arrive, à partir d’un découpage bien fait, à réaliser un véritable dessin-animé, non pas en stop motion, mais en animation 2D. À partir de n’importe quel scenario, nous pouvons désormais faire, en une dizaine de séances, un film d’animation où les participants vont être engagés de A à Z.

Grâce aux logiciels, on peut aussi incorporer du jeu, parce que l’on créé des marionnettes de personnages qui reproduisent ce que font les participants devant une caméra. Les participants ont donc eux aussi animé, même si les moyens techniques ont été pris en charge par notre équipe avec un travail important en postproduction.

Photo : Assis autour d’une table, les résidents des foyers, un crayon à la main, dessinent sur des feuilles de papier.

Dans quelle mesure cet atelier est adapté pour des participants ayant un handicap intellectuel ?

Cet atelier permet de s’adapter aux conditions de chacun. Quand on met en place des ateliers film, on constate qu’il y a des personnes qui ne peuvent pas s’inscrire dedans, ou très peu ; des personnes pour lesquelles la nature de leur handicap les empêche de participer, que ce soit par le jeu ou la technique. Avec l’atelier d’animation 2D, on fait tomber toutes ces barrières. Sur notre atelier, il n’y a pas une personne qui n’ait pas participé. Il y a de chacun dans le film. C’est la raison pour laquelle cet atelier est une véritable réussite.

Le scénario, par exemple, est construit selon la méthode d’un cadavre exquis. Puis, selon le type de proposition, on va réussir à intégrer tout le monde : déjà par le dessin, la création et le développement de personnages, et ensuite si ce n’est pas possible par ce biais, par le travail de bruitage, le jeu face à la caméra, les dialogues… En plus du travail de la voix pour faire parler les personnages, il y a aussi un travail sur le corps, avec la possibilité, comme je le disais précédemment, d’animer les personnages par le mime. Par ailleurs, les résidents ont ici réalisé la chanson du générique, et il est aussi possible d’ajouter un module musical, où un compositeur vient expliquer comment construire un morceau avec des sons et des rythmes.

Il peut y avoir des handicaps très forts, qui rendent la communication difficile. C’était le cas pour cet atelier ; certaines personnes s’exprimaient très peu. À travers le dessin, elles ont pu participer activement.

Photo : De profil, une femme en pull rose et gilet gris est assise face à un micro recouvert d’une bonnette, et tenu par une perche.

As-tu mis en place des aménagements spécifiques ?

En général, je rencontre le groupe une première fois avant l’atelier. J’ai l’habitude de ce public. Je sais capter leur attention, et être attentif à ce qui se passe, aux besoins de chacun.

Parfois, il peut arriver que certains n’aient plus envie de dessiner, sans pouvoir le dire. Il faut être attentif au moment où ils décrochent ; ne pas faire de forcing. On retrouve une sensibilité que l’on peut avoir chez un public jeune, avec des blocages en plus. Tout est plus exacerbé. Je me dois donc d’être vigilant par rapport à leur capacité, par rapport à l’épuisement mental ou à l’ennui, qui ne sont pas toujours traduits. En dehors de ça, c’est le même atelier que je ferais avec des lycéens.

Pour moi, il y a quelque chose de facile dans la mesure où nous sommes extérieurs à la structure, et que l’on propose quelque chose qui les change. Lorsque j’arrive, il y a un respect qui est déjà acquis.

Quels ont-été les apports de cet atelier pour le groupe ?

Il y a de la création : le scénario, le character design… Les participants comprennent que l’on réalise un film. Cependant, je parlerais plus d’une sensibilisation que d’un apprentissage des notions de cinéma, car il n’y a pas de maîtrise technique ou d’expérience qui se créée, et qui leur permette de refaire un film par eux-mêmes par la suite.

Pour certaines personnes, il y a quelque chose de thérapeutique, parce qu’il y a de l’expression, de la mise en scène ; parce que ce sont aussi des personnes qui ne sont pas visibles dans l’espace public. On ne voit quasiment jamais de personnes handicapées mentales à la télévision. Ils ne sont pas trop dans l’espace public, et ils en ont conscience. Être sur une scène ou dans un film, ça permet d’exister.

Et aussi l’œuvre est là ! Leur travail a abouti à une réalisation que l’on peut diffuser. C’est un accomplissement et une fierté pour eux.

Les structures sont ravies et aimeraient réitérer l’expérience. Ils ne s’attendaient pas à ce que l’on s’adapte aussi rapidement au groupe. Lors de la restitution, beaucoup de personnes sont venues nous voir pour nous demander de reproduire l’atelier, pour leur classe, dans leurs établissements…

Quels sont les leviers essentiels pour la réussite du projet ?

Il est important d’avoir un référent de la structure dans laquelle on intervient, qui soit présent du début jusqu’à la fin de l’atelier ; des personnes impliquées. Dans le cas contraire, il y a un risque d’incompréhension de la démarche, ou de prise d’initiative qui vont à l’encontre de l’atelier. Ce n’est pas toujours évident pour les structures.

Ensuite, le travail avec Retour d’image est essentiel pour moi, parce que j’ai une liberté totale sur les ateliers. Tous les ateliers que l’on a faits ensemble, je les ai créés, puis Retour d’image a ajouté des idées, a amélioré la proposition, m’a donné les contraintes financières, et surtout a pris le relais avec la structure. C’est un parfait travail d’équipe ! Je peux trouver des structures, des partenaires, et ensuite Retour d’image concrétise le projet. Si j’avais dû trouver des financements, gérer les aspects d’organisation, la restitution… Je n’aurais pas fait ces ateliers ! Cela me permet de me concentrer sur la partie créative.

L’expertise de Retour d’image ajoute aussi une dimension en termes d’accessibilité, puisque le film a pu être audiodécrit et sous-titré, une adaptation auquel les films d’atelier n’ont jamais droit. Ce travail m’a permis de me former moi-même sur ces aspects.

Photo : L’intervenant et un jeune participant sont assis face à un ordinateur. Au centre de l’écran, le dessin d’un chat blanc sur le fond noir d’un logiciel. Le chat et le garçon penchent tous deux vers la droite.

Des perspectives à la suite de cet atelier ?

L’idée est de démultiplier cet atelier qui inaugure une série, intitulée « Chats Exquis », pour ensuite faire un DVD, ou une compilation de l’ensemble de ces expériences ; qu’elles aient une existence en dehors des restitutions que l’on peut faire, et que ce travail permette de mieux expliquer notre démarche. Pour les prochains « Chats exquis », nous disposerons d’un scanner très haute définition. Les films seront en 2K, avec un effet de papier animé, une résolution et une qualité encore supérieure.

Pour découvrir le film :

« Francine et Caramel, une histoire d’amour et de patins » version neutre (Vimeo, Durée : 4 minutes 59)

Francine et Caramel en version audiodécrite (SoundCloud, Durée : 5 minutes 14)

Francine et Caramel (version sous-titrée SME) (Vimeo, Durée : 4 minutes 59).

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