Avis du groupe de visionnage sur « L’école de la vie »

L’Ecole de la vie (titre original Los Niños)
Documentaire de Maité Alberdi
Chili/Pays Bas/France, VOST / Durée : 82 min
Option « lecture des sous-titres en français (VF) » dans les salles équipées pour l’audiodescription.

Résumé : Anita, Rita, Ricardo et Andrés forment une bande de copains trisomiques qui partage les bancs de la même «école » depuis 40 ans. Mais ils aspirent à une autre vie. Ils voudraient juste pouvoir faire comme tout le monde: être autonome, gagner de l’argent, se marier, fonder une famille. Bref, ils voudraient qu’à plus de 50 ans, on ne les considère plus comme des enfants. Est-ce que l’école de la vie leur permettra de réaliser leurs rêves ?

Prix : Prix du Public du festival du film de femmes de Créteil ; Meilleur documentaire Docks Barcelona ; « Zen Mountain Award » au Miami Film Festival…

Sortie nationale française : le 15 novembre 2017.

Accéder à la page dédiée à la distribution du film

L’AVIS DU GROUPE DE VISIONNAGE

Pourquoi ce film ?

Le distributeur Docks 66 souhaitait connaître notre avis de programmateurs sur la thématique «cinéma et handicap » et si nous recommanderions L’Ecole de la vie pour des ciné-débats. Retour d’image a accompagné de nombreux films en accessibilité pour tous les publics et notamment en 2010 une fiction espagnole coup de coeur,   Yo tambien, d’Álvaro Pastor et Antonio Naharro, qui traite du désir et de l’amour d’un jeune homme trisomique.

Le présent documentaire, tourné sur plus d’un an dans un centre spécialisé pour personnes trisomiques au Chili a été récompensé dans plusieurs festivals. Il a retenu notre attention en raison de son regard attentif aux problématiques professionnelles, affectives et familiales des personnes trisomiques âgées de plus de 40 ans et par ses personnages attachants. Il nous a semblé toutefois important de donner la parole aux personnes trisomiques sur les images les concernant dans ce film en organisant des ciné-débats accessibles. Nous avons apporté au distributeur en priorité un conseil pour l’accessibilité de la copie.

Les thématiques :

« Ce film nous apporte un regard sur la vie sociale et l’insertion professionnelle des personnes trisomiques dans une structure adaptée en Chili. (…) Il pose la problématique de l’autonomie et la responsabilité des personnes atteintes du syndrome de Down. » (Sébastien Picout)

« L’Ecole de la vie est surtout centré, à mes yeux, sur un scénario à la « Roméo et Juliette ». Au cœur de l’institution qui a été filmée durant plus d’une année, il y avait l’histoire d’un couple empêché de vivre son amour. Cette histoire est universelle et que ces personnes soient trisomiques n’y change rien. Le choix de la réalisatrice de se concentrer sur cela est démonstratif, mais l’idée était sans doute de rendre le film ainsi plus populaire et de toucher un public qui ne s’intéresse à priori pas aux personnes ayant ce type de handicap.
La faiblesse des salaires des personnes handicapées travaillant en milieu protégé est le second thème important du film, dans les séquences ou apparait Ricardo. Nous avons appris lors d’un débat avec la réalisatrice que ce film avait fait changer les règles encadrant ces salaires au Chili. Le parlement a décidé de les augmenter» (Diane Maroger)

Les personnages :

Le film se concentre sur les personnages trisomiques dans le cadre de leur travail et sur les interactions entre eux plutôt qu’avec le personnel encadrant de la structure de jour qui est le théâtre du projet. Pourtant ces encadrants et l’entourage familial sont tout autour et, plus le film avance, plus nous nous apercevons que ce sont eux qui prennent les décisions ultimes. La réalisatrice se place du coté des personnages principaux avec un dispositif de mise en scène spécifique.

« Ce film présente des portraits de personnages trisomiques d’une cinquantaine d’années, leur quotidien, leurs aspirations, leurs relations, sans que tout soit sans cesse ramené à leur handicap : ils parlent d’amour et de sexe, se plaignent de leur travail, comme tout un chacun. Dans les documentaires sur ce handicap, on s’intéresse souvent aux adolescents ou aux jeunes adultes, donc ces portraits de personnes d’âge mûr sont vraiment enrichissants. » (Anna Marmiesse)

« On est fasciné par la joie de vivre de ces personnes trisomiques portant des blouses blanches {de cuisiniers}. Ils sont expressifs et motivés à travailler, avec un humour spontané et tellement innocent ! On sourit de leurs petits gestes coupables comme voler en cachette du chocolat dans les poches, goûter la pâte… et nos cœurs se serrent face au mépris de l’entourage familial et de la société envers les adultes trisomiques. Le lien entre Ricardo et sa grand-mère qui n’arrête pas de marteler qu’il est stupide, est déchirant ! De même, la séquence où Ricardo s’interroge sur son travail, son avenir, est émouvante.» (Sébastien Picout)

« J’ai été touchée par le couple central du film, Ana et Andrès. Je les trouve beaux et très sincères. Heureusement, la réalisatrice n’angélise pas les autres personnages : Ricardo, qui apparait comme le chef en cuisine, veut être le leader du groupe et n’est pas populaire. Il y a des inimitiés. La réalisatrice a aussi filmé des scènes avec des personnes « extérieures » mais en fait proches. Elles sont incroyables du seul fait que l’équipe de tournage était présente. Je pense en particulier à un dialogue entre Ana et sa mère qui pourrait devenir un morceau d’anthologie pour les professionnels qui animent des groupes de parole avec les parents de personnes en situation de handicap, ou avec des personnes trisomiques». (Diane Maroger)

 

couple souriant qui marche devant le bus jaune

La mise en scène :

«  La mise en scènes est intéressante parce l’image est souvent cadrée sur un ou deux personnages. Les images en elles-même ne sont pas dures mais j’ai trouvé dur ce qu’elles dégagent au final » (Jean-Baptiste Guérin)

« Ce film repose sur un travail de l’image poussé, en jouant avec le flou et la profondeur de champ. Les personnes de l’entourage qui ne sont pas trisomiques c’est à dire les intervenants professionnels du centre, les parents lorsque les personnages principaux sont chez eux, sont flous ou hors champ. L’idée de cette mise en scène est de privilégier le vécu des personnes trisomiques en mettant en avant que non-handicapés sont « extérieurs». Cet entourage conseille et donne des avis qui ne conviennent pas forcément aux personnages principaux du film. C’est très maîtrisé et la caméra est toujours sur pied, avec des plans extrêmement composés. A la première vision j’ai trouvé rigoureux et efficace ce choix mais en revoyant le film sur grand écran, je me suis sentie un peu gênée, parce que cela isole encore davantage les personnes trisomiques du reste du monde. Comme si la réalisatrice, à trop vouloir pointer ce que le regard des autres a de discriminant, allait malgré elle jusqu’à parfois l’adopter » (Diane Maroger)

Plusieurs d’entre nous se sont demandés à quel point les séances étaient écrites et préparées. Le montage étant assez sophistiqué, certains percevaient un manque de spontanéité. Des moments en plan séquence qui ont paru plus convaincants. La réalisatrice défend ce style dans ces termes : « J’aime beaucoup le fait qu’on pense que les dialogues soient écrits ! Et pourtant aucun dialogue n’ a été écrit en amont et mes personnages ne jouent pas. Plusieurs raisons participent au fait que l’on pense que mon film est une fiction. La première, c’est que mes personnages parlent très lentement et, dans une même conversation, répètent les dialogues environ quatre fois, ce qui laisse le temps de bouger avec la caméra pour avoir le plan parfait. Dès lors, au montage, on peut construire une scène parfaite. La deuxième, c’est que nous connaissions bien nos personnages. Nous adaptions les déplacements de la caméra pour être là quand ils allaient dire quelque chose. Ils sont intelligents et disent tout ce qu’ils pensent, au moyen de phrases élaborées. Si je les avais écrites, elles n’auraient pas été aussi bonnes croyez-moi ! Quand je leur demandais éventuellement de jouer quelque chose, c’était horrible, ils étaient tous de piètres acteurs. Impossible de construire quelque chose avec eux dans le cadre du jeu. » (Maite Alberdi)

« J’ai trouvé qu’il y avait un côté un peu extérieur dans le point de vue. Si le choix de laisser flou des personnages secondaires est intéressant, j’ai perçu quelque chose d’un peu artificiel dans les cadrages, qui n’a pas suffi à me convaincre qu’on était bien du côté des personnes trisomiques filmées. Je pense que pour ça il m’aurait fallu par exemple sentir plus directement la présence de la réalisatrice, son lien aux personnages, son implication, son positionnement. Et peut-être des prises de parole plus substantielles des personnages d’emblée » (Rachel Paul)

Le titre :

Le titre français choisi par le distributeur et le titre original du film au Chili — Los Niños soit « les enfants »— nous ont interrogés, voire laissés perplexes. Ils véhiculent tous deux l’idée que les personnes trisomiques sont de grands enfants. Ces titres peuvent à notre avis, influencer le regard du spectateur :

Nous avons interrogé la distributrice française à ce sujet, qui nous a répondu : « En anglais, le titre espagnol avait été traduit par The Grown-ups. En français comme nous ne trouvions pas un terme qui puisse restitue avec justesse cette question d’âge  — et sans vouloir justement les infantiliser puisque c’est même au coeur même de leur « combat » quotidien — il nous a semblait que le lieu (une école) et en même temps l’idée effectivement d’un apprentissage informel, c’est à dire comme on peut le percevoir au fil du film, au-delà des cours, dans l’âpreté de la vie et du rapport au monde extérieur pour des personnes « différentes », pouvaient être assez bien ressentis avec ce titre… » (Violaine Harchin).

« Le choix de tels titres est à double tranchant car ce faisant, l’auteure du film et les distributeurs chilien et français prennent délibérément le contrepied de ce que les personnes que Maité Aberdi a filmées tentent d’affirmer, entre elles et face à leur entourage. Un miroir nous est tendu ainsi qu’aux parents et aux encadrants de la structure, qui ont sans doute été parmi les premiers aspect ateurs du film : les voyons nous comme de grands enfants ?  C’est ambigu parce que durant tout le film, les personnages parlent de l’institution où ils travaillent comme d’une « école », le minibus qui les transporte à plus de 40 ans est jaune et surmonté d’une pancarte « transport scolaire ». Tout ceci semble dénoter d’une sorte de confusion et infantilisation palpable dans la société chilienne. Cette infantilisation dit moins son nom en France mais elle existe aussi. » (Diane Maroger)

PISTES POUR DES DEBATS

L’Ecole de la vie devrait pouvoir faire l’objet de débats avec les personnes adultes elles-mêmes concernées par la Trisomie 21.
Retour d’image a conseillé Docks 66 en vue de la création d’une copie accessible puis demandé à une professionnelle son avis sur les pistes qu’elles creuserait.

L’avis de Catherine AGTHE-DISERENS, sexo-pédagogue spécialisée, formatrice pour adultes :

« Oui, le film pourrait très bien être vu par des personnes vivant avec un handicap mental, pas seulement la trisomie 21.
Cela impliquera que les accompagnant-e-s réfléchissent d’abord à qui ils adressent le visionnement de ce film. Globalement le tout est bien conduit, sobre et assez animé pour ne pas risquer d’ennui de la part d’un public qui parfois, voire souvent, « décroche » assez vite si un film est trop peu « mouvementé ».

Oui également pour montrer ce film aux parents et professionnel-le-s une fois de plus pour faire avancer la cause de la vie affective, intime et sexuelle cette fois-ci en lien avec les Droits sexuels, l’auto-détermination.

Les grands enjeux à discuter seraient :
– La prise de conscience du pouvoir dont nous sommes doté-e-s, d’ailleurs grandement issu de nos responsabilités
– Comment mettre « le désir » au centre alors que les compétences cognitives sont plus ou moins limitées ?
– Qui est propriétaire du « désir » ? Comment ne pas se substituer aux besoins profonds de la personne handicapée mentale ?
– Comment comprendre la demande alors qu’elle n’est peut-être que le reflet du modèle sociétal ambiant ?
– Ces personnes doivent-elles être conformes à ce que nous attendons d’elles ou auraient-elles le bénéfice de comportements atypiques, parfois même très éloignés des «nôtres »?

Les enjeux de la vie affective, intime et sexuelle sont {dans ce film} très réalistes. Je reconnais très bien les expressions, les demandes et les besoins de ces personnes. Et leurs manières de les exprimer dans le film sont très fidèles à ce que je rencontre dans les suivis individuels et de couples. J’ai beaucoup aimé les quelques images de personnes refusant un baiser avec la langue ou un toucher sous le pull. Et le plus drôle c’est que ce sont des femmes qui prennent de telles initiatives un peu plus intimes et que ce sont les hommes qui disent « non ». On sort enfin de la stigmatisation : la pauvre femme handicapée touchée ou harcelée par un homme handicapé en demande ! »

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